Entretien avec Vincent Dufour, Directeur des Affaires Européennes d’EDF
EDF a salué le projet d’Union de l’Energie dès son lancement par la Commission Juncker. Vous êtes le premier électricien européen, premier producteur de renouvelables et premier opérateur nucléaire en Europe, vous y desservez chaque jour plus de 35 millions de clients … Alors que le renouvellement des institutions est proche, c’est l’heure du premier bilan : quel regard portez-vous sur l’avancée de ce projet phare de la Commission sortante et de manière plus générale, sur l’état d’avancement de la transition énergétique européenne ?
A la veille de ce renouvellement institutionnel très important pour l’avenir de l’Europe, permettez-moi de souligner tout d’abord d’où nous venons.
L’Europe est depuis 60 ans un espace préservé de conflits majeurs, un foyer attractif pour les investissements étrangers, avec des politiques sociales plus généreuses que dans la plupart des autres régions du monde. C’est déjà beaucoup et ce n’est pas le fruit du hasard.
L’Europe que nous connaissons aujourd’hui s’est construite grâce aux efforts patients et résolus des générations précédentes en tant qu’espace de liberté, de sécurité, de compétitivité et de solidarité. Le résultat est sous nos yeux, sans doute encore très imparfait, mais l’image renvoyée est celle d’une construction politique sans équivalent qui s’appuie sur ces quatre dimensions essentielles pour faire face aux désordres du monde. C’est particulièrement vrai dans le domaine de l’énergie et du climat où ces quatre dimensions sont des repères essentiels pour nous guider vers une transition réussie et responsable.
Ces repères ont inspiré le projet d’Union de l’Energie proposé par la Commission Juncker, qui a donné un nom et une orientation clairement décarbonée à la transition énergétique européenne. Une voie a commencé à être tracée mais nous n’avons pour l’instant fait qu’une petite partie du chemin …
Considérons le chemin parcouru tout d’abord :
– L’Europe est un espace où les échanges d’énergie entre Etats membres n’ont cessé de croître de manière continue depuis vingt ans, dotée d’un marché de l’énergie de plus en plus intégré où la coopération régionale et les interconnexions progressent en dépit de situations nationales très disparates. Le réseau électrique européen est aujourd’hui le plus interconnecté du monde avec 341 lignes transfrontalières qui dépasse même les frontières intérieures de l’Union pour relier 34 pays entre eux. Et la résilience du système électrique européen sort renforcée grâce aux mesures de préparation aux risques contenues dans le paquet énergie propre : l’Europe pourra compter sur des dispositifs robustes de solidarité d’urgence lui permettant de mieux faire face à des aléas majeurs ainsi qu’au risque de pénurie d’approvisionnement.
– Depuis plus de 15 ans, avec le lancement du marché européen de quotas carbone, l’Europe assume aussi un rôle essentiel d’éclaireur et d’aiguillon mondial dans la lutte contre le réchauffement climatique. Environ 11.000 centrales électriques et sites industriels européens très émetteurs de CO2 sont concernés par ce système de quotas réformé l’année dernière. Fin 2015, l’accord de Paris sur le climat a fixé le cap pour limiter le réchauffement climatique à 2°C d’ici la fin de ce siècle. Ce cap est bien compris par les citoyens européens : 92% d’entre eux placent le changement climatique au rang de leurs premières priorités pour l’avenir. Au niveau mondial, l’UE ne représente que 10% des émissions mondiales, ce qui signifie que l’Europe seule ne pourra bien évidemment résorber l’écart qui nous sépare de notre objectif planétaire mais elle a indéniablement un rôle d’entraînement et même de contre poids politique face à l’attitude à contre-courant du Président américain, pourtant deuxième plus gros émetteur de gaz à effet de serre. Nous n’avons malheureusement pas de planète « B »…
– Face à ce défi d’envergure mondiale, l’Europe peut compter sur son expertise de premier plan dans des technologies décarbonées essentielles comme l’hydraulique, le photovoltaïque, l’éolien le nucléaire par exemple, qui représentent à elles seules plus de 50% du mix de production européen actuel. Plus généralement, son savoir-faire électrique s’exporte dans le monde entier sur des marchés compétitifs comme auprès de populations pour lesquelles l’accès à l’électricité reste un enjeu vital. C’est un enjeu majeur pour notre Groupe et cette expertise est un atout majeur qu’il convient de protéger et consolider pour donner à l’Europe la possibilité de prendre toute sa place dans les futurs projets de décarbonation mondiaux.
A cet égard, permettez-moi de mentionner un fait souvent méconnu qui place notre groupe aux avant-postes de la décarbonation européenne et mondiale : le kWh d’EDF affiche l’une des plus faibles intensités carbone au monde à raison de 82g de CO2 par kWh produit quand la moyenne européenne du secteur s’élève à 275g. Du fait de son mix énergétique reposant sur ses deux piliers renouvelables et nucléaire, EDF contribue au maintien d’un facteur carbone européen moyen relativement bas : sans cette contribution, le facteur carbone moyen européen serait un tiers plus élevé, pour s’établir aux environs de 365g de CO2 par kWh produit.
Considérons maintenant le chemin qu’il reste à parcourir :
Des défis multiformes sont devant nous et les réponses qui seront apportées devront nous permettre de corriger des déséquilibres actuels tout en prenant soin d’éviter d’en créer de nouveaux.
– Le premier défi, d’ordre politique, tient au niveau d’indépendance énergétique européen. Force est de constater que la dépendance de l’Union Européenne pour son approvisionnement gazier s’accroît à mesure que les ressources européennes se raréfient. La question d’une trop grande dépendance vis-à-vis de fournisseurs extérieurs à l’Union Européenne, qu’il s’agisse d’importations de gaz ou de composants essentiels à des secteurs d’activité en croissance, comme le solaire ou le stockage, méritent de rester en tête des priorités des futurs décideurs européens au cours de la prochaine législature. Il ne peut y avoir de politique énergétique résiliente sans le souci de limiter cette dépendance dans un domaine aussi essentiel que l’énergie, pour les citoyens comme pour l’ensemble de l’économie.
A l’horizon des 30 prochaines années, ce constat renforce la nécessité d’accélérer l’électrification de l’économie européenne, en s’appuyant sur des ressources à la fois autochtones et décarbonées : solaire, éolienne, nucléaire et hydraulique. Ces dernières années, ce mouvement d’électrification s’est arrêté dans plusieurs pays européens. Le cas de l’Allemagne est le plus préoccupant : l’électrification s’y est arrêtée depuis 2005 et la dépendance du pays aux énergies fossiles s’est dans le même temps renforcée, l’incitant à sécuriser son approvisionnement gazier à long terme via le projet Nord Stream 2. Pour décarboner l’économie européenne, l’équation gagnante passe par un taux d’électrification bien supérieur au niveau actuel, par ailleurs extrêmement bas (22%). Le porter progressivement au-delà de 40%, voire se rapprocher de 60% en 2050 correspondrait à un niveau de réduction des émissions de carbone de 95%, en ligne avec les ambitions de l’accord de Paris. Compte tenu des progrès dans l’efficacité énergétique, porter ce taux d’électrification dans une fourchette comprise entre 40-60% impliquerait sur la période des taux de croissance modérés de la demande électrique, qui se sont révélés aisés à absorber dans le passé (guère plus de 1% par an) et des renforcements de réseaux (dont des interconnexions) à opérer à un rythme comparable à ce que l’on a connu ces deux dernières décennies.
– Le deuxième défi est d’ordre économique et financier : l’Europe doit pouvoir compter sur la compétitivité nécessaire et suffisante des opérateurs européens de l’énergie dans un monde où la compétition internationale fait rage. Tout en restant ouverte aux échanges dont elle bénéficie largement, l’Europe devra continuer à renforcer ses moyens de faire face à des pratiques de dumping qui la fragilise ou qui pourrait la faire basculer dans la voie d’une dépendance toujours plus forte de son secteur énergétique demain. L’exemple du développement du solaire au cours des années 2000 qui se traduit aujourd’hui par une dépendance industrielle quasiment totale vis-à-vis de l’extérieur devrait continuer de nous instruire pour la suite.
Dans ce contexte, on ne peut que se réjouir des efforts entrepris par la Commission de favoriser le développement d’une filière industrielle complète des batteries en Europe. EDF se félicite d’être partie prenante de l’Alliance européenne pour les batteries depuis son origine. Il convient de compléter la démarche en musclant les outils et instruments financiers et régulatoires européens mais aussi en réformant la politique de la concurrence afin de favoriser les investissements et l’émergence de champions européens dans des secteurs aussi stratégiques que le stockage mais aussi plus largement le secteur de l’énergie décarbonée dans son ensemble. Il conviendra aussi de développer les pratiques coopératives permettant à cette filière de prendre rapidement son essor. C’est dans cet esprit qu’EDF ouvre ses centres d’essai à des tiers pour tester et préparer les solutions de stockage de demain. D’autres initiatives du même type devront suivre autour de chaînes de valeur stratégiques européennes par exemple. EDF soutient ce type de démarche pouvant déboucher sur de nouveaux développements industriels prometteurs en Europe.
– Le troisième défi est d’ordre régulatoire : le futur marché européen de l’électricité devra mettre en place les conditions d’une décarbonation de l’économie européenne au meilleur coût, c’est-à-dire ne plus être basé sur une accumulation de subventions et sortir d’une forme de « dictature du court terme», sources de trop nombreux dysfonctionnements.
Ce point mérite qu’on s’y arrête. J’illustrerai ces dysfonctionnements par deux caractéristiques principales : une situation générale de surcapacité, et la persistance d’un écart substantiel entre les prix de gros et les prix de détail de l’électricité en Europe, ces derniers ayant évolué continument à la hausse ces dernières années tandis que les prix de gros suivaient le mouvement inverse jusqu’à récemment.
Les causes sont bien connues. Pour la première, l’afflux d’énergies renouvelables solaire et éolienne largement subventionnées a durablement affecté le fonctionnement du marché et perturbé les signaux d’investissement. Ces énergies sont venues s’ajouter à une production électrique existante qui devait dans le même temps faire face à un fléchissement de la demande consécutif à la crise financière de 2008. Tout cela conduit à une situation de surcapacité de production. Pour la deuxième, les surplus générés par cet afflux ont tiré les prix de gros à la baisse tandis que dans le même temps, la part des charges et taxes payées sur la facture d’électricité du consommateur ne cessait de grimper du fait des subventions, poussant les prix de détail à la hausse. Il en résulte un marché de l’énergie durablement déséquilibré en dépit d’efforts d’amélioration récents, le plus important d’entre eux consistant dans le cadre du paquet énergie propre, à soumettre les technologies renouvelables arrivées à la maturité aux mêmes droits et obligations que les filières ordinaires :
- à court terme, le système fonctionne : le marché spot sur lequel se forment des prix autour du seul objectif d’équilibre instantané du système électrique assure les flux d’échanges sur les marchés électriques et les améliorations apportées dans le fonctionnement de ces marchés ces dernières années se sont avérées utiles pour renforcer leur efficacité opérationnelle à court-terme.
- Mais ceci se fait sans tenir compte des coûts en capital des énergies appelées, ni des coûts d’interconnexion et donc, en partie, au détriment du long terme. Les signaux de prix à long terme demeurent défaillants. Or, ce sont les seuls à permettre d’engager des investissements décarbonés et compétitifs dans un secteur structurellement capitalistique, où les économies d’échelle représentent l’une des sources les plus fortes d’efficacité. Sur ce point, on peut noter que l’UE a démontré sa capacité à faire une partie du chemin : elle a avancé dans la voie de la décarbonation en adoptant en juin 2018 la première partie du paquet énergie propre fixant de nouveaux objectifs en matière d’efficacité énergétique et de renouvelables plus ambitieux d’ici 2030. En faisant cela, l’UE s’efforce de tenir compte de situations nationales initiales très différentes tout en fixant un cap et des trajectoires convergentes de nature à donner plus de visibilité aux investisseurs.
Mais, rien ne garantit que ces investissements décarbonés seront les plus compétitifs. Dis autrement, il ne s’agit pas de multiplier les projets ni d’ériger la sobriété en vertu sans considération des coûts. La transition énergétique européenne ne peut faire l’impasse sur « la vérité des prix ». A cet égard, la variable clé pour décarboner l’économie européenne à coût maîtrisé demeure un prix du carbone durablement supérieur à 30€ la tonne. La dernière réforme du système de quota EU-ETS, si elle s’est suivie d’une légère remontée du prix du carbone, ne permet pas d’assurer un niveau de prix déclencheur d’investissements décarbonés au meilleur coût dans la durée. Et le prix actuel du carbone n’incite toujours pas à substituer de vieilles centrales thermiques qui fonctionnent une très grande partie de l’année par des sources de production décarbonées. De nouvelles mesures devront donc suivre sans tarder pour renforcer le prix du carbone. Elles permettraient aussi que le développement des renouvelables et de l’efficacité énergétique se fonde prioritairement non sur un simple objectif mais sur un prix, de nature à garantir que le consommateur paiera son électricité décarbonée au meilleur coût.
De la même façon, des contrats de long terme pour développer les technologies bas carbone, qui sont particulièrement intenses en capital, assureraient la visibilité nécessaire pour les engager effectivement avec un coût du capital réduit, au bénéfice des consommateurs.
– Le quatrième défi est d’ordre technologique et sociétal : c’est celui de la flexibilité et d’une transition juste et équitable. Dès à présent et encore plus demain, la sécurité d’approvisionnement en électricité reposera sur des équilibres compliqués où la variabilité des énergies et la flexibilité de la demande joueront un rôle déterminant. Nous savons que l’on peut augmenter sans risque pour la sécurité d’approvisionnement la part des EnR variables – solaire et éolien – jusqu’à 40% du mix en moyenne. Basculer dans un mix énergétique majoritairement composé d’énergies renouvelables intermittentes nécessite des ruptures technologiques que nous ne maîtrisons pas à ce jour.
En aval, l’implication croissante des territoires et des consommateurs sera aussi une composante essentielle du système électrique de demain. L’autoproduction, les outils connectés, devenus partie intégrante de réseaux locaux intelligents, modifieront les réserves de flexibilité mobilisables par le système électrique au service de la collectivité : qu’il s’agisse par exemple du moment où une flotte d’entreprise voudra recharger ses véhicules électriques ou du moment où un particulier ou un immeuble voudront reverser vers le réseau électrique une partie de l’électricité autoproduite par les panneaux solaires installés sur leur toit.
Tout ceci devra faire l’objet d’une synchronisation et d’un pilotage particulièrement bien maîtrisé. Pour se faire, il nous semble important d’éviter deux écueils importants :
- Premièrement, il s’agira d’accompagner ces évolutions pour éviter que le système ne se retrouve au bord de la rupture technique. Les innovations numériques et l’intelligence artificielle nous y aideront assurément mais, sur ce chemin critique, il ne faudra pas lâcher trop tôt « la proie pour l’ombre ». A moyen terme par exemple, les marchés de capacité continueront à offrir une garantie en cas de défaillance. Ils devront sans doute être ouverts aux capacités transfrontalières : qu’on les nomme mécanismes de capacité ou réserves stratégiques, ce sont les deux faces d’une même pièce destinée à assurer la sécurité d’approvisionnement. A cet égard, tous les pays européens ne sont pas à la même enseigne : certains ont un tel niveau d’interconnexion qu’ils sont assurés d’avoir la quantité d’électricité nécessaire en cas de défaillance, mais un grand nombre d’Etats européens doivent pouvoir compter sur ces mécanismes de réassurance en cas de tension sur le système d’approvisionnement. Le paquet énergie propre en a tenu compte en reconnaissant le rôle de ces mécanismes au service de la sécurité d’approvisionnement, en les limitant néanmoins à un rôle temporaire et faisant ainsi un pari optimiste sur la résilience future du système énergétique européen.
En parallèle, les futurs réseaux intelligents devront être aussi résilients face à de nouveaux risques comme les cyberattaques. Aujourd’hui, par exemple, les projets d’énergie renouvelables n’intègrent pas suffisamment d’aspect cybersécurité dans leur conception alors que ces installations sont de plus en plus cibles d’attaques. Même si la protection des infrastructures critiques européennes fait l’objet d’une législation spécifique, il nous semble qu’une réflexion stratégique européenne sur le risque cyber pour le système énergétique de demain et la manière de s’en prémunir pourrait être utilement renforcée.
- Deuxièmement, le phénomène de « passager clandestin » ou « free riding » consistant à bénéficier des avantages d’un système développé et financé par d’autres sans en payer le coût pourrait être à l’origine de nouveaux déséquilibres. Pour accompagner le développement de l’autoconsommation et de l’autoproduction, un dispositif équitable pour tous devra s’imposer, permettant d’éviter que les frais fixes de connexion au réseau et les taxes évitées soient payées par d’autres. Les propositions de la Commission dans le cadre du paquet énergie propre sont allées opportunément dans cette direction.
En creux, se dessine ainsi déjà les voies mais aussi les nombreux écueils qui peuvent nous faire « rater le coche » vers une transition énergétique réussie au cours des 30 prochaines années.
Quelles solutions concrètes votre Groupe propose-t-il pour être au rendez-vous de l’Accord de Paris et répondre au défi d’une transition énergétique réussie pour nos territoires ? Votre entreprise, qui vient de fêter ses 70 ans, est-elle prête pour ce qui s’apparente de plus en plus à un nouveau « bond en avant » ?
Ce « bond en avant », comme vous dites, est déjà notre réalité quotidienne. En réalité, cette transition énergétique est la troisième du genre. Après la Deuxième Guerre mondiale, nous avons connu l’essor du charbon et de l’hydraulique ; puis dans les années 70, le développement du parc électro-nucléaire en réponse au premier choc pétrolier. Lors de ces deux premières transitions, il fallait maîtriser ces trois filières pour assurer une transition réussie et c’est ce que nous avons fait.
Cette troisième transition est guidée par le risque lié au changement climatique : elle nous pousse vers plus de sobriété et, si elle continue de concerner notre mix énergétique à l’amont, elle se passe aussi davantage à l’aval. Il ne s’agit plus de maîtriser une seule filière de production mais de se mettre en capacité de proposer une palette de solutions à fort contenu technologique aux consommateurs et aux territoires pour répondre à une plus grande variété de situations.
EDF est en train de se transformer profondément et de réinventer une partie de ses métiers pour répondre à ce nouveau paradigme. Le secteur de l’énergie étant le premier émetteur de C02 en Europe, nous sommes concernés au premier chef et c’est en cherchant à répondre à ce nouveau paradigme que l’entreprise développe une panoplie de solutions de plus en plus diversifiée.
Ne nous y trompons pas, le défi qui nous attend est immense. Au rythme actuel, le monde ne sera pas au rendez-vous de l’accord de Paris. Après trois années de stagnation des émissions de CO2, les émissions mondiales ont à nouveau augmenté pour atteindre un plafond historique. Sans un sursaut et des actions fortes des principaux pays, métropoles et grands secteurs émetteurs (industriels de l’énergie, du transport, du bâtiment, villes…) d’ici 2050, le réchauffement climatique va continuer à s’accentuer en causant des dommages environnementaux et sociétaux (déplacement de populations) irréparables.
C’est pourquoi la lutte contre le réchauffement climatique est de loin le premier de nos six objectifs de responsabilité d’entreprise : il vise « à aller au-delà de la trajectoire 2°C fixée par la COP 21 en baissant drastiquement nos émissions de CO2 ». La nouvelle stratégie bas-carbone adoptée par EDF accélère le mouvement en visant la neutralité carbone à horizon 2050. Alors que le Groupe contribue déjà à réduire significativement l’empreinte carbone du secteur électrique européen, il a décidé de réduire fortement ses émissions directes de CO2 avec un objectif de 30 millions de tonnes en 2030, à comparer à 51 millions de tonnes en 2017. Cet objectif représente une diminution de 40% des émissions directes par rapport à aujourd’hui, ce qui conduira à un niveau d’émission d’environ 40g/KWh.
Dans cet esprit, EDF soutient l’Union Européenne dans son objectif de neutralité carbone dans le cadre de sa future stratégie climatique à long terme. Mais aussi, sur ce chemin critique, toute révision de l’ambition européenne permettant de revoir à la hausse l’objectif de réduction des émissions de CO2 d’ici 2030.
– Pour atteindre son objectif de réduction drastique des émissions, le Groupe a décidé d’agir de manière simultanée et complémentaire sur plusieurs composantes du système électrique :
– La fermeture de centrales à charbon et à fioul d’une part, et la prolongation et le développement de moyens de production décarbonés d’autre part, font partie des actions fortes déjà engagées :
- EDF a lancé un plan solaire qui prévoit un quadruplement des capacités actuelles d’énergie solaire en France. Cet engagement unique représente un développement de 30 GW supplémentaires d’énergie solaire sur la période 2025-2035, pour un investissement de 25 milliards €, dont une part importante proviendra de partenaires, d’investisseurs et de banques. EDF a la conviction, compte tenu de la baisse des coûts, des évolutions technologiques et de son acceptabilité, que le photovoltaïque est une composante majeure dans la transition énergétique. Ces investissements vont se décliner dans l’ensemble des régions françaises au cours des prochaines années où les nouvelles installations pourront prendre place sur des réserves foncières non exploitées, aussi bien au sol qu’en toiture, en générant de nouveaux emplois au service du développement économique local.
- Pour continuer à décarboner massivement jusqu’à la fin du siècle, le nucléaire continuera de jouer un rôle majeur à l’échelle mondiale et l’Europe ne doit pas déserter la place sur le plan industriel. Le nucléaire compte aujourd’hui pour 27% du mix énergétique européen tandis que l’industrie nucléaire civile représente près d’un million d’emplois directs et indirects, avec un niveau de qualification supérieure à la moyenne des autres secteurs. Sur la période 2014-2025, en France, le parc nucléaire existant fait l’objet d’une opération dite de « Grand Carénage » visant à permettre la poursuite de l’exploitation du parc électro-nucléaire français au-delà de 40 ans, tout en améliorant encore son niveau de sûreté. En s’appuyant sur un parc de production amorti, il permet à la France de bénéficier d’une électricité bas carbone, fiable et disponible, à un coût compétitif. 110.000 emplois directs et indirects sont liés à ce programme industriel d’envergure. Pour la suite, les projets de nouveau nucléaire portés par le Groupe comme ceux actuellement en cours en France à Flamanville ou à Hinkley Point au Royaume Uni, participent de l’effort planétaire de décarbonation du secteur électrique. Pas moins de 220.000 personnes travaillant dans la filière nucléaire dans les régions françaises, au sein de PME et de grands groupes, pourront ainsi continuer à être mobilisés au service de ces projets au sein de la 3ème filière industrielle française après l’aéronautique et l’automobile.
– Le stockage d’électricité est l’autre grand domaine où le Groupe a déjà renforcé sa présence. Avec un coût des technologies divisé par cinq en moins de dix ans le stockage par batteries sort des laboratoires pour devenir une réalité industrielle. Il représente un complément aux capacités de stockage d’électricité historique que constituent les barrages hydrauliques. De plus petite taille, possédant des caractéristiques techniques différentes, plus décentralisé, le stockage batterie ouvre des perspectives prometteuses pour réussir la transition énergétique : réduire la variabilité des énergies renouvelables ce qui favorise leur expansion, garantir l’équilibre et la performance des grands réseaux tout en favorisant le développement de systèmes décentralisés à l’échelle d’un quartier, d’une ville ou d’un territoire, lisser la demande en électricité de sites industriels et améliorer ainsi l’efficacité de l’ensemble du système électrique. Enfin, le stockage permet de répondre à une attente sociétale forte en matière d’autoconsommation avec des offres combinant photovoltaïque et batterie. Autant de raisons qui ont incité EDF l’an dernier à lancer son plan stockage. Ce plan propose de doubler notre budget de R&D consacré à cette technologie et de déployer 10 GW de moyens de stockage dans le monde qui porteront la capacité de stockage du groupe à 15 GW. Il vise trois segments de marché :
- le stockage au service des systèmes électriques à l’échelle d’un pays ou de systèmes électriques isolés (îles, territoires peu interconnectés quartiers…).
- le stockage au service des clients particuliers, entreprises et territoires : répondant à une aspiration croissante de ses clients, EDF développe des offres d’autoconsommation sur quatre de ses marchés-clés en Europe (France avec Mon Soleil & Moi,Italie avec Edison My Sun, Royaume-Uni via EDF Energy et en Belgique avec EDF Luminus). Ces offres permettent aux clients de produire leur propre électricité, de la stocker puis de la consommer. Dans ce domaine, le Groupe vise le déploiement de 4GW de batteries d’ici 2035 ainsi qu’une part de marché de 15% en France et de 10% au niveau européen.
- Le stockage pour faciliter l’accès à l’électricité dans les pays en développement : pour les populations n’ayant pas accès à l’électricité et pour lesquelles l’élaboration de réseaux électriques est incertaine, les solutions off-grid développées par EDF sont essentielles et combinent panneaux solaires et capacité de stockage, de manière très simple et accessible. 50.000 foyers en bénéficient déjà en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Sénégal et en Afrique du Sud. EDF souhaite encore amplifier sa présence sur ce marché en Afrique, avec par exemple une participation dans la start-up kényane Sun Culture pour déployer à grande échelle le pompage solaire pour les petits agriculteurs en Afrique de l’Ouest. A horizon 2035, le groupe vise à alimenter en électricité 1,2 million de clients aujourd’hui non-connectés. Nos actions rejoignent ici une problématique plus globale qui prévoit le triplement de la demande électrique des pays du Sud de la Méditerranée à horizon 2040 : la population devrait y augmenter de 100 millions de personnes et les besoins énergétiques devraient croître de 90% en moyenne. L’Union Européenne devrait être un partenaire plus systématique en accompagnement de ces futurs projets.
– Mais, cette troisième transition énergétique ne se réduit plus au seul domaine de la production d’électricité qui n’est qu’un des trois grands usages de l’énergie : le transport et le bâtiment devront davantage prendre leur part dans la décarbonation à l’avenir. Une étude de la société Mc Kinsey sur les options à suivre pour répondre aux ambitions de l’accord de Paris l’a récemment soulignée : pour réduire les émissions de carbone de 95% en 2050, il est nécessaire que l’électricité soit portée à 63% dans les transports comme dans les bâtiments. Dans ces deux domaines, EDF se positionne en apporteur de solutions innovantes :
- Dans le domaine de l’efficacité énergétique, nous avons déjà une solide compétence d’énergéticien et d’opérateur de services énergétiques avec Dalkia. Nous avons aussi développé des approches « open innovation » qui nous permettent de bénéficier de compétences nouvelles. Ainsi, la start-up Métroscope, qui propose un diagnostic de performance fondé sur l’intelligence artificielle. Dans la recherche de performance au service des territoires, notre filiale Citelum, spécialisée dans les services urbains, vient aussi compléter nos offres « smart city » grâce à une plateforme de gestion en temps réel des services urbains, permettant également une meilleure planification urbaine sur le long terme. C’est le cas du « Street lab » de Copenhague qui permet de piloter de manière intégrée le stationnement intelligent de la ville, ses capteurs de pollution, sa collecte des déchets et ses capteurs d’humidité dans les parcs et jardins par exemple.
- Dans le domaine du transport, deuxième secteur plus gros émetteur de CO2 en Europe, le Groupe multiplie aussi les initiatives : il est la première entreprise française à avoir rejoint le mouvement EV 100 qui fédère les grands groupes engagés autour du développement de la mobilité électrique et de sa généralisation d’ici 2030. A ce titre, l’entreprise s’est engagée à convertir l’intégralité de sa flotte automobile à l’électrique à cette échéance. En Europe, nous voyons le dernier paquet Transport Propre de l’Union comme une opportunité à ne pas manquer pour accélérer la transition bas carbone du seul secteur dont les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté depuis 1990. Cela concerne aussi bien les véhicules que les infrastructures de charge, le financement de cette transition et la stimulation du marché à travers les commandes publiques de véhicules électriques ainsi que la définition d’une trajectoire de décarbonation ambitieuse pour le transport lourd. Le Groupe accompagne déjà le développement de la mobilité électrique en développant et opérant des infrastructures de recharge – 3000 bornes de charge à ce jour – ainsi que des offres de mobilité électrique pour permettre aux particuliers, entreprises et collectivités d’évoluer vers une mobilité bas carbone. Le développement du véhicule électrique, s’il contribue de manière significative à la décarbonation des transports d’ici 2030, devrait augmenter de manière limitée la consommation d’électricité : la consommation annuelle d’un véhicule électrique est pratiquement équivalente à celle d’un chauffe-eau et si nous retenons un nombre de 125 millions de véhicules électriques en circulation en Europe à horizon 2030 – soit la moitié du parc automobile actuel – cela devrait correspondre à une augmentation annuelle des consommations d’électricité de 0,75%. Le Groupe entend également poursuivre ses efforts au-delà des véhicules particuliers pour aider les collectivités locales à faire le choix de solutions de transport électriques clés-en-main sur leur territoire.
Cette panoplie de solutions diversifiées ouvre une large gamme de possibilités à nos clients et aux responsables des territoires sur lesquels nous sommes implantés, au service de la performance de leurs équipements (smart home, smart charging, smart city…).
Le point commun entre toutes ses possibilités tient à ce qu’elles sont porteuses d’une plus grande sobriété énergétique et d’une plus grande décentralisation des usages et en fin de compte, d’une meilleure maîtrise de notre empreinte carbone, qui est pour longtemps encore au cœur de la stratégie bas carbone de notre groupe et des objectifs prioritaires de l’Union européenne. La transition énergétique est une opportunité à saisir pour l’Europe et, vous l’aurez compris, EDF est prête à prendre toute sa part dans ce processus aux côtés des institutions, de ses partenaires et de ses clients.