Notre vision, c’est une Russie qu’il faut arrimer à l’Europe sur le plan économique.
Nicole Bricq s’est rendue à Moscou, le 12 avril 2013, pour le 19ème Conseil économique, financier, industriel et commercial franco-russe. La ministre du Commerce extérieur a également représenté la France, le 22 juin 2013, lors du Forum économique international de Saint-Pétersbourg, en présence du Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine.
Au préalable, pouvez-vous évoquer les principales mesures prises par le gouvernement français afin d’encourager les entreprises, notamment les PME, à s’orienter vers l’export ?
Si je devais résumer ma politique commerciale, je dirais qu’elle consiste à placer une offre française cohérente et performante face à une demande mondiale bien identifiée. L’un des défauts principaux de nos entreprises est de partir à l’assaut de l’export en ordre dispersé. Je m’efforce donc de fédérer les entreprises autour de quatre familles de biens et services et de les orienter vers les marchés qui leur sont le plus adaptés. Soutien, simplification et accompagnement sont mis en œuvre pour permettre à nos entreprises d’aller là où sont la demande et la croissance. Soutien, avec la Bpi et son volet international, Bpi France export, qui met à disposition de nos entreprises toute une batterie de nouveaux financements. Simplification, avec le rapprochement des dispositifs d’accompagnement à l’export ou le lancement de la bannière commune France International et la première version d’un site internet donnant accès à l’ensemble du dispositif d’appui à l’exportation (www.france-international.fr). Accompagnement, avec le renforcement de la dimension de conseil dans la mission d’Ubifrance, l’augmentation du nombre de chargés de mission ou encore l’ajout d’une dimension d’accompagnement, de parrainage et de coaching dans le mandat des Conseillers du Commerce Extérieur français.
Dès lors, quelle est l’ampleur des relations économiques entre la France et la Russie ? A ce titre, pouvez-vous souligner les bénéfices, pour les investisseurs et les entreprises françaises, de l’adhésion de la Russie à l’OMC ?
Les relations économiques entre la France et la Russie sont anciennes, solides et nourries. La Russie doit demeurer un partenaire incontournable de notre stratégie pour nous placer dans la locomotive de la reprise mondiale. Le marché russe n’étant pas toujours simple, l’adhésion de la Russie à l’OMC met aussi à disposition de la France et de l’Europe un levier pour faciliter l’entrée dans un marché russe qui n’est pas toujours simple d’accès.
Le 30 septembre 2013, à Paris, vous avez co-présidé, avec Alexeï Oulioukaïev, Ministre du développement économique de la Fédération de Russie, le 20ème Conseil Economique, Financier, Industriel et Commercial franco-russe (CEFIC). Vous avez souligné que : « Notre vision, c’est une Russie qu’il faut arrimer à l’Europe sur le plan économique. Oui, il est possible et même souhaitable pour des PME françaises d’investir en Russie, notamment dans les domaines de la santé, de l’agro-alimentaire ou encore du numérique ». Aujourd’hui, quelles difficultés peuvent rencontrer les entreprises françaises souhaitant s’installer en Russie et comment, avec votre homologue russe, vous mobilisez-vous afin de faciliter cette démarche ?
Vous connaissez l’Histoire de la Russie au 20ème siècle. Elle conditionne encore un peu le marché russe, même si les choses changent. Le secteur privé y est peu développé, de nombreuses barrières demeurent dans l’accès au marché et le climat d’affaires n’a pas la simplicité de certains pays où le commerce international est, pour ainsi dire, une seconde nature. Les problèmes de certification locale ou les méfiances de nos entreprises vis-à-vis des délais de paiement pèsent notamment sur le maintien de nos parts de marché. Je mène un dialogue nourri et constructif avec mon homologue russe pour lever ces difficultés. Vous avez aussi évoqué la présence de la Russie à l’OMC depuis 2012 et la nécessité dans laquelle elle est désormais de respecter les règles du marché mondial que nous y construisons.
Quels résultats attendez-vous des travaux du « Club santé Russie » et qui sont les acteurs de ce Club ?
Les besoins de la Russie en matière de santé sont très importants. Les autorités russes savent qu’en ce domaine la France est excellente. Le « Club Santé Russie », qui regroupe à l’heure actuelle une quarantaine d’entreprises, essentiellement des PME, avec des compétences allant de la biologie à la cosmétique en passant par la pharmacie et les fournitures de dispositifs médicaux, ont pour fin de capter cette demande en organisant des échanges d’informations et d’expérience, en coordonnant nos entreprises et en identifiant le plus finement possible les besoins locaux. À titre d’exemple, l’expertise du Club a permis d’identifier des attentes dans le Tatarstan en face desquels les entreprises françaises peuvent dès lors placer une offre adaptée.
En matière de transports ferroviaires, comment nos leaders nationaux peuvent idéalement se placer lors de la construction de la ligne TGV Moscou-Kazan, mais aussi dans les projets des grandes agglomérations, notamment le projet de Grand Moscou ?
Comme vous le savez, nous possédons des leaders mondiaux dans le domaine ferroviaire, et les autorités russes avaient laissé espérer le lancement prochain d’une étude de prospection pour la ligne TGV Moscou-Kazan. Mais Dmitri Medvedev a annoncé le 16 janvier que ce projet était repoussé. Le temps venu, nos entreprises devront s’y positionner. Nous les y aiderons. Pour ce qui est de ce que l’on appelle « le Grand Moscou », je tiens d’abord à préciser que ce projet n’est pas à l’image du « Grand Paris », auquel on le compare souvent, mais consiste plutôt en une série d’actions de modernisation urbaine. Il y a là de réelles opportunités pour nous, dans le transport, mais aussi dans la construction, domaines dans lesquels nos PME ont un avenir assuré en Russie. J’ajoute que les travaux d’envergure entrepris par la Russie dans la perspective du Mondial de 2018 constituent aussi une chance pour nos entreprises, que ce soit pour les infrastructures sportives, pour les transports, pour l’hébergement ou pour l’aménagement des aéroports. J’ai rencontré M. Sorokine, directeur général du comité d’organisation du Mondial lors de ma visite à Moscou les 31 octobre et 1er novembre derniers afin de lui dire que nous sommes là pour répondre à cette demande. La Russie change, nous devons épouser son mouvement.
Enfin, comment abordez-vous le souhait du Sénateur Jean-Pierre Chevènement, une idée formulée naguère par le Président Charles de Gaulle, de créer un espace de libre circulation « de Brest à Vladivostok » ?
Dans son discours devant les étudiants russes du MGIMO au début de l’année dernière, Jean-Pierre Chevènement a eu raison de parler de la Russie comme d’un partenaire incontournable du XXIe siècle, et pas seulement sur le plan économique. Dans la formule que vous citez, il va à la fois plus loin que Charles de Gaulle dans sa phrase aussi célèbre qu’énigmatique évoquant la perspective d’une Europe « de l’Atlantique à l’Oural » : plus loin, parce que Vladivostok, c’est bien plus loin que l’Oural ! Mais moins loin en même temps, parce que la libre-circulation n’est qu’un aspect de l’idée européenne, un commencement dans ce grand rêve que constitue une Europe forte, unie et prospère.