LE LIEN ENTRE LES HOMMES PASSE PAR LA CULTURE
Du théâtre aux fonctions officielles
Historien du théâtre et critique dramatique de profession, lorsque je fréquentais assidûment l’Institut d’art dramatique, je n’imaginais pas que je pourrais un jour me destiner à la carrière de fonctionnaire. Dès 1967, je commençais à travailler à la radio, écrivant différents scénarii et animant des programmes de toutes sortes. Et cela jusqu’en 1997, date à laquelle Boris Eltsine, Président de la Russie, m’a nommé premier directeur de la chaîne de télévision russe « Culture ». Ma collaboration à la TV date cependant de 1968. Cette année-là, le drame télévisé « Tournoi de Chevalerie », consacré à Corneille et à Racine, a été projeté sur le petit écran. J’étais l’un des auteurs de cette pièce. Par la suite j’ai enchaîné les prestations avec notamment, des téléfilms sur Peter Brook, Peter Stein, Youri Luoubimov, etc. De 1973 à 1990, tout en faisant partie de la rédaction du magazine « Théâtre », je rédigeais de nombreux articles pour plusieurs journaux et revues. Je jouissais d’une certaine notoriété publique, ce qui me permettait, lorsqu’on me proposait un poste bureaucratique, de poser aux employeurs une seule condition : la possibilité de me livrer à des activités créatrices et pédagogiques. La législation russe le permet, et cette demande était toujours satisfaite. Je ne profitais pas de mes fonctions administratives pour devenir une personne publique, mais c’est parce que j’en étais déjà une, qu’on m’invitait à travailler dans des organes du pouvoir.
Une coopération culturelle internationale
Par un étrange concours de circonstances, le département de la Culture du ministère des Affaires étrangères russe a été supprimé après la réforme administrative de 2004. Il supervisait la coopération internationale dans les domaines de la culture, de l’enseignement, des mass media, du sport, etc. Vers 2008, après la suppression de l’Agence fédérale pour la culture et le cinéma que je dirigeais, il est devenu clair que la Russie devait redoubler d’efforts pour présenter au monde une image positive. C’est alors qu’a été créé le poste de Représentant spécial du Président de la Fédération de Russie pour la coopération culturelle internationale. Celui qui l’occupe doit coordonner les efforts de divers départements, depuis ceux du ministère de la Culture, jusqu’à ceux du ministère de l’Education et de la Science, dans la matérialisation de grands projets internationaux tels que les Années croisées qui ne concernent pas seulement la culture. Ainsi, l’Année croisée France-Russie a connu un vif succès en 2010 et a été suivie des Années croisées Allemagne-Russie, Pays-Bas-Russie, etc. Nous organisons aussi des Années thématiques et des Saisons culturelles dans les domaines du théâtre, de la langue, des belles-lettres, des arts visuels. En février 2014 a débuté l’Année croisée Grande-Bretagne-Russie.
Tout cela n’est qu’un élément de ma fonction. La coopération humanitaire dans l’espace post-soviétique y tient également une place particulière. Je ne surestime nullement mon rôle dans ces processus. Mon seul mérite est d’avoir gardé, dans mes agendas personnels, les numéros de téléphone de mes amis de différents pays du monde, dont certains sont inscrits depuis 40 ans. Ce qui me sert de base de travail.
Une programmation équilibrée entre l’ancien et le nouveau
Le plus précieux dans les relations entre les pays et les peuples, réside dans la confiance et la voie la plus courte entre les hommes passe par l’art et la culture. C’est précisément à cela que l’on doit l’importante réussite des Années croisées et thématiques et des grandes manifestations culturelles internationales telles que le Festival théâtral Tchekhov en Russie ou le Festival international du Film à Cannes. Les Foires et les Salons du Livre revêtent également un sens particulier, car les Européens se focalisent à bien des égards sur la littérature. D’ailleurs, tout pays a ses symboles culturels. Je suis convaincu qu’un rôle majeur dans notre coopération avec la France revient aux contacts solides noués entre le théâtre Bolchoï et le Grand Opéra, entre les musées de l’Ermitage et ceux du Louvre. Mais, outre les symboles historico-culturels, il existe aussi un art contemporain, avec une foison de jeunes peintres, écrivains, compositeurs et cinéastes, tous de talent et nous devons nous surprendre les uns les autres en les mettant en avant. C’est pourquoi, en composant les programmes des Années croisées, nous respectons des proportions raisonnables afin de programmer à la fois des célébrités et des jeunes en devenir, ce qui nous permet de nous stimuler réciproquement à la fois par le connu et la nouveauté.
En ce sens, l’Année de la culture russe à Monaco prévue pour 2015 ne fera pas exception. Les Monégasques ainsi que les autres habitants de la Principauté sont experts en matière d’art exécutif et visuel, ce dont nous allons tenir compte. Ils apprécient le ballet et la peinture et d’éminents hommes de lettres, compositeurs et cinéastes ont travaillé là-bas. Beaucoup de Russes vivaient à Monaco et sur la Côte d’Azur depuis deux siècles, et on y observe une certaine tradition dans la perception de l’art russe. Ce qui explique les succès de la Semaine de l’art russe à Cannes et des festivals ayant eu lieu dans d’autres villes du littoral.
Affirmer les valeurs des Lumières
Mes activités professionnelles étaient liées avant tout au théâtre britannique. Je m’intéressais d’abord au drame bourgeois anglais du premier tiers du XVIIIe siècle, puis à l’oeuvre de Thomas Eliot et à celle de Georges Bernard Shaw ; écrivais sur la dramaturgie anglaise des « fâchés », sur Harold Pinter, John Osborn, Tom Stoppard, etc. Pour cette raison, c’est le siècle des Lumières qui m’attirait le plus. « Le Paradoxe sur le comédien » de Diderot est un chef-d’œuvre, et celui qui ne l’a pas lu, ne comprendra jamais l’art de la comédie. Par les caprices du sort, je me suis rapproché de Jean-Louis Barrault et de Madeleine Renaud, de Peter Brook et de sa famille, ainsi que de Houellebecq. La France reste pour moi celle de la grande révolution française et de ses immortels principes humanistes et celle du grand roman français qui s’étale de François Rabelais à Marcel Proust. Ce n’est pas peu !
Il me semble qu’aujourd’hui, la Russie comme la France, tout comme le monde, ont besoin d’affirmer les grandes traditions de l’humanisme. On parle trop souvent du déclin de l’Europe, de la mort des valeurs européennes. Je suis convaincu que ce n’est pas tout-à-fait exact, bien que la tolérance et la démocratie y prennent parfois des formes bizarres. Je voudrais que nous jetions un regard plus attentif sur notre passé commun et que nous essayions d’y puiser le plus précieux, ce qui, au fil de l’histoire, nous rapprochait et n’est, à ce jour, point dénué de sens.