JGDE. L’agriculture et le secteur agroalimentaire constituent des piliers essentiels pour l’économie et l’emploi en Bretagne. Pouvez-vous nous indiquer ce que représente aujourd’hui ce secteur d’activité ?
Jacques Jaouen. Avec 9 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour l’agriculture, près de 20 milliards pour la transformation agroalimentaire et environ 135 000 emplois directs dans le secteur, l’agriculture et l’agroalimentaire sont effectivement des socles de l’économie régionale. A cela s’ajoutent les très nombreuses activités induites, dans le transport (routier, maritime, ferroviaire…), l’entreposage, la maintenance, la fabrication d’équipements divers…
JGDE. Quelles sont les filières d’excellence et que représentent les marchés à l’export ?
JJ. La Bretagne est en premier lieu une terre d’élevage. La région est en tête des classements des régions françaises de diverses productions animales. Ainsi, nous produisons 57% de la production porcine française, 21% en veaux, 32% en volailles de chair, 43% des œufs de consommation, 23% du lait conventionnel ou encore 21% du lait bio. Mais cela ne doit pas faire oublier que la Bretagne est également une région légumière de premier plan qui produit 84% des choux fleurs français, 79% des artichauts, 79% des échalotes, 34% des épinards ou encore 30% des tomates ! Les acteurs de la région visent tous les marchés, les marchés de proximité, le marché intérieur français mais également l’export vers des pays avec lesquels des flux existent de longue date, mais aussi de nouvelles destinations vers lesquels ils recherchent des relais de croissance.
En 2016, les exportations agricoles et agroalimentaires se sont élevées à plus de 4,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires dont un peu plus du tiers sont des viandes et produits à base de viande. Ces exportations représentent 35,4 % des exportations bretonnes toutes activités confondues, un socle là aussi !
JGDE. Dans le même temps, c’est un secteur qui est confronté à beaucoup de difficultés. Quel regard portez-vous sur son évolution ?
JJ. L’essor de l’agriculture bretonne s’est appuyé sur des politiques nationales et une PAC qui encourageaient le développement de la production et la modernisation des entreprises. Avec leur tempérament conquérant et leur attachement à leur territoire, les agriculteurs et les entreprises agro-alimentaires ont répondu présents. Les acteurs économiques ont su convaincre les pouvoirs publics de la nécessité de désenclaver notre région à l’extrême Ouest pour lever les difficultés de distance et de logistique. Les agriculteurs ont aussi investi dans la formation pour progresser et prendre en main leur destin. Tout cela a porté ses fruits.
L’entrée des produits agricoles dans les échanges mondiaux, l’élargissement de l’Europe, l’arrivée de nouveaux concurrents sur les marchés agricoles, la montée en puissance des questions environnementales sont venus interroger et bousculer un modèle de développement basé sur de nombreux actifs sur des petites et moyennes entreprises à responsabilité familiale. La Bretagne agricole et agro-alimentaire a dû opérer une transformation pour rester un bassin de production qui compte dans les échanges commerciaux européens. Les chiffres précédemment cités montrent que les acteurs économiques et les collectivités territoriales ne lâchent rien dans ce contexte plus malmené.
JGDE. Dans ce contexte, quel rôle peuvent jouer les Chambres d’Agriculture ?
JJ. Les périodes de transformation sont toujours douloureuses et peuvent rencontrer des résistances ou des difficultés pour prendre les virages nécessaires. Notre double mission, consulaire pour représenter et défendre l’intérêt général d’un secteur d’activité sur son territoire, et notre mission de conseil et d’accompagnement permettent d’accompagner au plus près des acteurs dans cette transformation. Il s’agit à la fois de recherche et développement pour réussir le défi d’une agriculture économiquement, humainement et écologiquement intensive, en d’autres termes un agriculture et un secteur agro-alimentaire multi performants, il s’agit d’études prospectives sur les filières, il s’agit de formation pour les futurs agriculteurs, les futurs salariés , de la formation continue, il s’agit de proposer l’accompagnement stratégique aux porteurs de projets. Enfin, les chambres d’agriculture ont une organisation territoriale avec un maillage de proximité qui rend les collaborateurs accessibles facilement.
JGDE. On observe globalement une montée en puissance des circuits courts et un engouement des consommateurs pour les productions locales et de saison, surtout dans des territoires à forte identité comme la Bretagne. Comment accompagnez-vous ce phénomène ?
JJ. Les chambres d’agriculture sont dotées d’une équipe régionale réparti sur tout le territoire pour accompagner tous les porteurs de projets « de l’idée au projet ».Elles sont mobilisées sur l’ambition Breizh Alim du Conseil Régional de Bretagne. La dynamique lancée montre que ces nouvelles attentes peuvent trouver des réponses concrètes qui rapprochent les producteurs, en filière longue ou courte, et les consommateurs.
Indéniablement, l’identité Bretonne catalyse et donne de la puissance au projet, du producteur au consommateur, en passant par les entreprises de transformation. Les chambres d’agriculture seront un acteur majeur et un facilitateur de cette dynamique.
JGDE. En parallèle, on note aussi une demande croissante de productions biologiques. Que pensez-vous du développement de l’agrobiologie ?
JJ. Ce développement correspond à des attentes des consommateurs, en matière d’alimentation, et de modes de production des aliments qu’ils consomment : préservation des ressources naturelles, de la biodiversité. Il faut entendre cette évolution, et l’accompagner en terme d’offre en accompagnant les producteurs qui souhaitent convertir leur système. Il faut aussi accompagner la structuration de la filière pour que les producteurs se rémunèrent. Nous sommes présents sur ces différents sujets, qui doivent concilier la viabilité économique et sociale des projets d’entreprise et les évolutions des attentes sociétales.
JGDE. Les agriculteurs sont très actifs dans la transition énergétique et écologique. Les enjeux sont à la fois environnementaux, sociaux et économiques. Pouvez-vous nous dire ce qu’il en est en Bretagne ?
JJ. Les Chambres d’agriculture de Bretagne ont commencé à travailler sur la transition énergétique en 2006. La priorité a très vite été fixée aux économies d’énergie qui permettent de réduire les charges, de rendre les exploitations plus autonomes. Différents programmes d’aides les ont accompagnées depuis 2009. Ils concernent toutes les filières : lait, porc, volailles, productions sous serre. Nous avons également investi dans des outils expérimentaux pour développer le concept de « bâtiment d’élevage basse consommation ».
La seconde priorité était de contribuer au développement des énergies renouvelables en France. Nous travaillons à 2 échelles : celle de l’exploitation pour diversifier le revenu des exploitations ou accroître leur autonomie par l’autoconsommation, et celle des territoires pour inscrire nos exploitations dans la transition énergétique des territoires ruraux. Le développement de ces projets n’a pas été aussi rapide qu’on l’aurait voulu, notamment en raison de la conjoncture économique. Pourtant, les projets sont toujours plus nombreux : bois énergie, photovoltaïque, méthanisation…
Enfin, nous nous sommes attelés à la question du changement climatique. L’agriculture est le premier producteur de gaz à effet de serre de la région Bretagne et doit donc prendre sa part dans l’atténuation du changement climatique. Cette question est transversale et les réponses sont celle de l’agro-écologie. Elle rejoint donc d’autres attentes sociétales et environnementales.
Vient aujourd’hui le dossier de l’adaptation de l’agriculture au changement climatique qui est évidemment d’une importance stratégique.
JGDE. Comment imaginez-vous l’agriculture du futur ?
JJ. La demande alimentaire est croissante. Mais cette évolution de la demande est plurielle, entre ceux qui dans le monde ne mangent pas encore à leur faim, ou ne bénéficient pas d’une alimentation équilibrée, qui sont d’ailleurs souvent des paysans, entre ceux qui mangent à leur faim, voire davantage, pour qui les attentes qualitatives sont différentes. La consommation de protéines animales est interrogée par certains, le bilan carbone des produits alimentaires, la préservation des ressources naturelles. L’agriculture est concernée au premier chef par la transition énergétique, elle est source de solutions sur cet enjeu. Il faudra nourrir 9 milliards d’habitants en 2050, une population désormais majoritairement dans les villes. La terre et l’eau sont des facteurs de production rares dans certaines régions qui concentrent une population importante et en croissance.
Dans son livre « nourrir les hommes » et son plaidoyer pour une agriculture écologiquement intensive, l’agro-ecomiste Michel Griffon propose des pistes pour concilier l’intensification des facteurs de production et la préservation des ressources naturelles. La recherche, l’innovation, l’interconnaissance entre les technologies de pointe et des technologies plus traditionnelles sont source de solution. La Bretagne est capable d’être pionnière pour écrire cette nouvelle histoire, en accueillant et accompagnant des projets diversifiés, et des entreprises conquérantes sur tous les marchés, en proximité, et dans le monde.
ZAC Atalante Champeaux
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