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M. Louis Schweitzer

Commissaire général à l’investissement (CGI), président d’Initiative France, ancien Président de la branche internationale du Medef

La diplomatie économique, entre fonctions régaliennes et réalités du marché

Assurer une présence permanente auprès des Français qui vivent à l’étranger, répondre à leurs attentes face aux difficultés qu’ils peuvent rencontrer représente des enjeux importants, notamment, face à l’augmentation importante de nos concitoyens vivant hors de France.

Quelle place occupe aujourd’hui la diplomatie économique ?

La diplomatie a pour objet de défendre la France et les Français et de contribuer à la paix et au développement durable du monde. À ces titres, la diplomatie économique en fait partie. L’économie française ne peut prospérer que dans un monde harmonieux. Il n’y a pas, d’une part, une diplomatie générale et, d’autre part, une diplomatie économique, la diplomatie économique est au cœur de la diplomatie en général et c’est le message que Laurent Fabius a délivré à son administration et à ses postes diplomatiques. Cependant, lorsque l’on parle de diplomatie économique, on attend des résultats concrets, chiffrés. Cela ne reflète pas le seul travail de nos diplomates, car cela concerne aussi bien l’amélioration de la balance des biens et services, que l’augmentation du nombre de touristes, le flux d’ investissements directs et créateurs d’emplois en France ou encore le nombre d’étudiants qui viennent en France. Mais dès lors que l’on attend des résultats, il est nécessaire d’avoir une réflexion sur les moyens mis en œuvre.

Quelle articulation convient-il alors de privilégier, entre les réseaux extérieurs chargés de la diplomatie économique et les entreprises ?

En tant qu’ancien président de compagnies françaises et étrangères, actuel président du Conseil des affaires étrangères du Quai d’Orsay et représentant spécial du ministre pour le Japon, ce que je constate, c’est un niveau de coopération entre les entreprises et de l’administration plus faible en France qu’en Allemagne ou en Italie par exemple. Certes, la diplomatie économique est un domaine où les entreprises coopèrent naturellement avec l’État. Elles dialoguent facilement avec le quai d’Orsay qui peut leur démontrer la nécessité de se regrouper pour conquérir des marchés étrangers. Dans ce domaine, les approches allemande et italienne sont un peu différentes. L’Allemagne a clairement une approche filière. Celle-ci n’est d’ailleurs pas totalement absente en France. Quand nous avons créé Renault-Nissan, cela a permis à certains de nos fournisseurs de s’implanter au Japon. Mais dans d’autres secteurs, reconnaissons-le, l’approche filière est beaucoup moins forte en France qu’en Allemagne. Les entreprises concurrentes italiennes, elles, n’hésitent pas à aller ensemble à l’international. Les diplomates et les ambassadeurs gardent toujours leur porte ouverte aux entreprises, que ce soit par le biais de business France, des ambassades elles-mêmes, des conseillers d’expansion économique. Cependant, garder la porte ouverte ne suffit pas, il faut aller à la rencontre des entreprises. Nos diplomates peuvent tout d’abord travailler avec les organismes comme le MEDEF international, qui soutient les entreprises à l’exportation.

Ensuite, nous avons mis en place, à titre expérimental, des ambassadeurs dans nos régions dont le rôle est d’aider les PME à exporter. Les PME exportatrices sont trois fois moins nombreuses qu’en Allemagne et deux fois moins nombreuses qu’en Italie. Désormais, les entreprises se tournent plus facilement vers le ministère. Dans chaque pays, une action commune est instaurée avec l’aide de l’ambassadeur. Des organismes comme business France, qui regroupe UbiFrance, l’AFII, Atout France, Campus France, ont naturellement tendance à travailler avec notre réseau diplomatique traditionnel, car ils savent que la diplomatie économique est au cœur de notre action diplomatique.

Comment faire émerger et accompagner l’offre de produits et de services innovants, adaptés à la demande des marchés de l’exportation ?

Le Commissariat général à l’investissement soutient les services et produits innovants, car, parmi nos enjeux, se trouvent la numérisation de l’économie, le lien entre recherche et l’industrie et tous les domaines d’innovation et d’excellence. Si on développe la R&D en France, nous exporterons davantage. Citons deux domaines : la silver économie, ou la ville intelligence (écologique…). Entre la France et le Japon, il y a des besoins communs et une coopération qui s’établit.

Ensuite, c’est à nous de démontrer la qualité des produits et services français dans certains domaines : le tourisme où nous avons des atouts uniques, mais pas toujours bien exploités ou le luxe et les cosmétiques qui y sont liés. Dans ces derniers domaines, la France a des entreprises très puissantes, mais aussi des entreprises moyennes qui ont besoin de l’appui des grands groupes. Dans l’industrie agroalimentaire, nous avons une très bonne image, pourtant, en dehors des vins et spiritueux, nous n’exportons pas suffisamment.

Ainsi, il y a des domaines où l’on a une image excellente, et des forces pas toujours bien exploitées et en revanche dans d’autres où nous n’avons pas encore l’image, mais déjà le potentiel. C’est le cas des start-up que nous soutenons beaucoup, au CGI.

À ce titre, comment analyser les programmes actuels de soutien aux entreprises innovantes, et leur mise en place ?

La présence française dans les secteurs-clès du développement turkmène : sur le chantier d’un hôtel construit sur une colline surplombant la ville d’Achgabat, Lucie Stepanyan, Premier conseiller à l’ambassade de France au Turkménistan, s’entretient avec Denis Hermann, responsable corps d’Etat techniques chez Bouygues.

La France est le premier pays d’Europe de création de start-up. Les Français ont un esprit de rupture, d’innovation, d’aventure remarquable. En revanche, les entreprises qui se créent ne sont pas assez rapides dans le passage de l’idée innovante à la mise en œuvre concrète à grande échelle. Elles ne trouvent pas assez vite l’appui de grands groupes pour les aider, pour les accompagner là où l’échelle financière est plus importante. Nous avons toute une série de mécanismes pour y remédier. Le CGI peut intervenir à toutes les étapes : la maturation, de l’invention au moment où l’on sait que cette invention est applicable, puis l’incubation, et enfin le développement. Grâce au Concours mondial « Innovation », nous pouvons octroyer 200 000 euros aux entreprises sur la base d’un concept, puis, pour l’incubation et le développement, de 2 millions à 20 millions d’euros, en subventions ou en dotation.

Nous avons aussi mis en place French Tech pour soutenir les start-up afin de renforcer l’image d’une France innovante. Nous souhaitons éviter qu’une start-up créée en France, ne doive, pour se développer, aller aux États-Unis.

Certaines entreprises, de type familial, hésitent à se développer, car elles ont peur de perdre le contrôle. Il faut les inciter à ouvrir leur capital et leur démontrer que cette croissance est plus intéressante pour l’entrepreneur inventeur que le contrôle. Il est plus important d’avoir 30 % de 100 millions que 100 % de 1 million.

Quelles actions pourraient être envisagées pour aller plus loin dans ce domaine ?

Il y a bien sûr des mécanismes comme le nôtre qu’il faut améliorer pour soutenir l’investissement innovant, mais le point essentiel, comme nous l’avons souligné, c’est d’accroître la proximité des entreprises et de notre réseau diplomatique au sens large, c’est-à-dire notre réseau d’action extérieure. Il faut inclure les régions dans ce réseau, car les grandes régions ont déjà, du fait de leur taille, plus de moyens et de compétences pour aider l’innovation. Je pense que dans ces domaines, il y a des voies de progrès.

Si l’on doit faire une comparaison, ce n’est pas avec l’Allemagne, dotée d’une très bonne image et d’un solide passé industriel. Une ambition raisonnable serait de faire aussi bien que l’Italie qui n’a pas tout cela. Pour conclure, je voudrais revenir sur un point : nous avons aujourd’hui un déficit de balance des biens et services de 40 milliards d’euros par an.

Toutes choses égales par ailleurs, si nous exportions assez pour payer nos importations, cela ferait 800 000 emplois de plus en France. Laurent Fabius a clairement mis en lumière cette nécessité que l’action extérieure soit tournée vers le développement économique. Même si beaucoup reste à faire, nous avons commencé à nous mobiliser.

 

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