Retrouvez-nous sur :

M. Laurent Fabius

Ministre des Affaires Étrangères et du Développement international

« Un grand ministère de l’action extérieure de l’Etat »

Laurent Fabius a accompagné le Président François Hollande lors de sa visite d’État aux Philippines du 25 au 27 février 2015, à l’invitation du Président Benigno Aquino III. Cette visite a permis de renforcer la relation bilatérale et s’est inscrite dans le travail de préparation de la conférence Climat à Paris (COP21) en décembre 2015. A ce titre, l’Appel de Manille à l’action pour le climat a invité, in fine : « chacun […] à faire prendre conscience de la nécessité d’agir rapidement et partout, et de parvenir à un accord mondial sur le climat en décembre à Paris. » (Source : www.diplomatie.gouv.fr)

Lors d’un discours à l’Ecole polytechnique le 25 juin 2013, intitulé « La France, puissance d’influence face aux changements du monde », vous avez souligné : « Dans ce monde changeant et turbulent, il appartient à chaque État d’affirmer ses intérêts. Nous le faisons. Nous menons une stratégie offensive au service de nos intérêts et de notre influence. Nos ambitions régulatrices ne sont pas contradictoires avec la nécessité de veiller à nos intérêts propres, et à cet égard, j’ai développé, en accord avec le Président de la République, une approche du monde nouveau à travers plusieurs orientations qui soutiennent concrètement les intérêts de la France ».

Pouvez-vous évoquer ce monde nouveau que vous observez comme étant brouillé, éclaté et hésitant ?

Nous ne vivons pas seulement une crise, ou une série de crises, mais un véritable changement de monde. Nous ne sommes plus dans le monde bipolaire de la guerre froide, ni dans le monde unipolaire de l’après-guerre froide, dominé par une seule puissance, les Etats-Unis. Nous vivons aujourd’hui dans un monde que je qualifie de « zéro-polaire » : aucune puissance ou alliance de puissances ne peut, à elle seule, résoudre l’ensemble des crises auxquelles le monde est confronté. La volonté politique de la France est d’agir pour permettre l’émergence d’un « monde multipolaire organisé», mais ce but est encore loin d’être atteint. A cette « dépolarisation » du monde s’ajoute un éclatement de la puissance : des acteurs non étatiques, notamment des groupes armés autonomes – je pense à Daech, à Boko Haram, à Al-Qaida –, défient de plus en plus fortement les Etats, piliers traditionnels de l’ordre international. La situation actuelle peut donc se résumer ainsi : davantage de forces à contrôler et moins de forces pour les contrôler. Face à ce monde chaotique et à certains égards nouveau, la diplomatie française se fixe des orientations claires. En accord avec le Président de la République, j’ai énoncé quatre priorités : la paix et la sécurité ; l’organisation et la préservation de la planète ; la relance et la réorientation de l’ Europe ; le redressement et le rayonnement de la France. Chaque fois que le Président de la République, le Premier ministre ou moi-même avons des décisions de politique étrangère à prendre, c’est à ces quatre priorités que nous nous référons.

S’agissant de l’organisation du réseau diplomatique, l’une de vos orientations « consiste à être présent là où l’avenir se construit. 15 000 personnes travaillent au Quai d’Orsay et dans son réseau. La nouvelle géopolitique que nous avons esquissée exige de redéfinir notre action et de redéployer nos moyens afin que la France soit présente là où s’écrit l’histoire du monde contemporain et de demain ».

Comment avez-vous engagé ou approfondi l’adaptation du réseau diplomatique et consulaire de la France ?

Pour faire face aux défis de ce monde nouveau, je veux construire, avec les personnels très compétents du Quai d’Orsay, le ministère des Affaires étrangères du 21e siècle. L’un des principaux enjeux consiste, comme vous le rappelez, à adapter notre réseau à la nouvelle « géographie de la puissance » : disposer du même nombre de diplomates dans nos ambassades en Belgique et en Chine n’aurait pas grand sens ! Tout en maintenant l’universalité de notre réseau diplomatique, nous avons donc commencé à renforcer notre présence là où se construit le monde de demain et là où nos intérêts sont les plus forts. D’où le redéploiement d’effectifs vers des secteurs et des zones prioritaires : les pays émergents d’ Asie, d’Afrique et d’Amérique du Sud. Dans cet esprit, il est logique que nous réexaminions nos moyens dans les pays où l’histoire nous a légué un réseau important. C’est aussi pourquoi nous transformons un certain nombre d’ambassades en « postes de présence diplomatique », aux missions recentrées : 13 l’ont déjà été sur la période 2013-2015, et autant sont en cours de transformation pour la période suivante. Cette réorganisation est sensible pour les agents concernés, mais nous faisons le maximum pour qu’ils soient accompagnés au mieux dans ce changement. C’est la condition indispensable pour poursuivre l’évolution de notre réseau, facteur essentiel de renforcement de notre diplomatie.

Une autre de vos orientations concerne la diplomatie économique. Quelle organisation avez-vous mise en place afin que le ministère des Affaires étrangères « ne soit pas seulement le ministère des relations politiques ou de l’action culturelle extérieure mais qu’il soit aussi le ministère des entreprises » ?

Depuis mon arrivée à la tête du Quai d’Orsay il y a bientôt trois ans, l’urgence économique s’est imposée d’elle-même. Il serait inconcevable, compte tenu de la situation de la France, que le Ministre en charge des affaires étrangères se désintéresse de l’internationalisation de notre économie. C’est ce constat qui m’a conduit, vous le savez, à vouloir élargir le périmètre classique du Quai d’Orsay. J’ai souhaité il y a quelques mois – en accord avec le Président de la République et le Premier ministre – que le Quai d’Orsay ne soit pas uniquement le Ministère des affaires étrangères mais celui des affaires étrangères et du développement international. Il s’agissait de créer, pour la première fois, un grand ministère de l’action extérieure de l’Etat, qui s’étende au-delà du cœur de métier diplomatique traditionnel : il inclut depuis avril 2014 le commerce extérieur et le tourisme. Le ministère exerce désormais une compétence économique et financière clairement affirmée. Pour l’assumer, il fallait procéder à des ajustements dans l’organisation. Nous avons donc mis fin aux doublons Quai d’Orsay/Bercy, qui étaient source à la fois de complexité pour les entreprises et d’inefficacité pour l’administration. Au Quai d’Orsay, j’ai nommé un Secrétaire général adjoint, venu de Bercy, spécialement chargé de suivre la transversalité de notre action économique. J’ai créé une direction des entreprises et de l’économie internationale. Dans chaque direction géographique, le directeur adjoint est désormais directement responsable de l’économie. J’ai également nommé des représentants spéciaux pour certains pays ou certaines zones géographiques : leur mission est de développer nos relations économiques avec ces partenaires clés, qu’ils connaissent particulièrement bien. Ces nouvelles compétences entraînent des évolutions dans le recrutement et la formation des agents : la place de l’ économie sera renforcée dans les épreuves des concours dès 2015, nous multiplierons les modules de formation à la diplomatie économique dans nos formations initiale et continue. Mais attention ! Cet accent sur la diplomatie économique ne doit pas nous faire oublier que notre diplomatie est globale : elle concerne les domaines stratégique, culturel, éducatif, scientifique, la francophonie, etc. C’est cette globalité qui rend compte de l’influence de la France et fait d’ailleurs tout l’intérêt des parcours au sein du Quai d’Orsay.

Au titre de la diplomatie économique, pouvez-vous évoquer Business France, structure née le 1er janvier 2015 de la fusion d’Ubifrance et de l’Agence Française pour les Investissements Internationaux ? Quelle est sa feuille de route ?

Business France exerce deux missions principales : le soutien de nos entreprises, notamment de nos PME, dans leur développement à l’export ; la promotion de l’attractivité de notre territoire à l’égard des investisseurs internationaux. Auparavant, chacune de ces missions était assumée par un opérateur distinct : nous avons décidé de fusionner les deux opérateurs pour créer une agence unique, dans un souci de simplification, de lisibilité et d’efficacité. Depuis le 1er janvier 2015, Business France est en ordre de marche, sous la direction de Muriel Pénicaud, qui connaît bien le monde de l’entreprise. L’ agence aura également pour mission de mettre en œuvre une stratégie de communication et d’influence pour développer l’image économique de la France au plan international : face à des campagnes internationales souvent peu amènes, nous avons désormais à notre disposition une « agence réputationnelle » pour notre pays. Certes, nous ne sommes pas parfaits – comme nous le rappellent régulièrement les praticiens du « French Bashing » ! –, beaucoup de réformes internes restent à mener, mais nous disposons aussi d’atouts exceptionnels : à nous de mieux les faire connaître au monde.

Enfin, le 6 septembre 2012, lors de la Conférence inaugurale de l’Ecole des Affaires internationales de Sciences Po Paris, vous avez tenu ce discours : « L’enjeu pour nous et pour les nouvelles générations est de construire un nouveau modèle de développement qui permette de retrouver le chemin de la prospérité et du progrès, de réduire les inégalités et d’améliorer les outils de régulation afin notamment de prendre en compte les enjeux climatiques et environnementaux ».

Quelles sont vos ambitions, en termes d’objectifs et de résultats, pour le Conférence Paris Climat 2015 ?

2015 sera pour la France, et en particulier pour le Quai d’Orsay, une « année climat ». Nous accueillerons à la fin de l’année la 21e Conférence des Nations unies pour le climat, la COP 21, et j’aurai la responsabilité de la présider. Il s’agira de la plus vaste conférence internationale jamais organisée en France – 20 000 délégués, 20 000 invités, 3 000 journalistes. L’urgence d’agir n’a jamais été aussi forte. Si nous ne parvenons pas à limiter à 2°C la hausse des températures d’ici la fin du siècle, les conséquences du dérèglement climatique seront dramatiques. Pour le climat de notre planète, mais aussi pour la sécurité, la santé, la vie elle-même. L’espoir de parvenir à un accord historique pour la préservation de notre planète est réel. La COP 20 à Lima nous a permis de progresser.

Mais la tâche reste très ardue : mettre d’accord 195 pays – 196 parties avec l’Union européenne –, dont les situations sont diverses, dans des domaines si complexes, les obstacles ne manqueront pas. Quel est notre objectif ? Nous voulons aboutir à une « alliance de Paris pour le climat », qui comprendrait quatre piliers : un accord universel et différencié, juridiquement contraignant, consacrant l’objectif d’ une limitation du réchauffement à 2° C ; une série de contributions nationales comportant des engagements de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre ; un paquet financier, pour soutenir les pays les moins avancés et les plus vulnérables ; enfin, un recensement des initiatives « climato-protectrices » des villes, des régions, des entreprises, des associations – ce que j’ ai appelé « l’agenda des solutions ». Tout au long de cette année, je ne ménagerai pas mes efforts pour transformer cet espoir en réalité. C’est ma priorité absolue. Comme le dit bien le Secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-moon : « Il n’ y a pas de plan B car il n’y a pas de planète B. »

 

Spread the news