« Si on prend un compas et que l’on dessine un demi-cercle, la région de Rabat-Salé-Kénitra est pratiquement en plein milieu des zones les plus dynamiques du territoire marocain ».
Président du Conseil de la région Rabat-Salé-Kénitra ainsi que de l’Organisation des Régions Unies / Forum Global d’Associations de Régions (ORU/FOGAR), Abdessamad Sekkal nous présente et précise le modèle marocain de régionalisation mais aussi ses atouts en terme économique, environnemental comme de développement international.
Souvent cité en exemple pour son modèle de régionalisation, comment s’organise au Maroc aujourd’hui la répartition des compétences entre l’État et les collectivités locales ?
Le Maroc a une tradition de décentralisation très ancienne. Dans le système politique marocain tel qu’il était construit, les représentants locaux du pouvoir avaient de larges prérogatives. Certes, nous avons vécu une période coloniale avec notamment une recentralisation assez forte mais qui s’est toutefois accompagnée de la construction d’une administration moderne. Dès les années 70, il y a eu une action très forte de l’État vers une décentralisation et surtout un mouvement de régionalisation. Et ont ainsi été crées 16 régions d’abord administratives puis plus politiques par la suite avec des conseillers élus mais de manière indirecte. Enfin, en 2011, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a annoncé une modification de la Constitution marocaine pour y introduire le « projet de régionalisation avancée marocain. » Nous avons dû toutefois attendre 2015 et la promulgation de la loi organique pour que le nouveau système soit mis en place et que se tiennent pour la première fois des élections régionales au suffrage universel direct, avec un renouvellement important de conseillers mieux formés et plus politiques aussi ! En cette année 2017 et début 2018, des évolutions devraient avoir lieu, d’autant que nous sommes passées de 16 à 12 régions. Une réforme ambitieuse mais complexe est en cours de mise en œuvre, avec l’élaboration d’une nouvelle charte avec l’Etat. Mais, nous sommes toujours sur la voie d’une « régionalisation avancée » et repenser le rôle de l’Etat, et c’est un défi important ! Nous avons une « autoroute » devant nous pour avancer.
En terme constitutionnel, le changement a donc été très profond parce qu’y sont désormais inscrits les principes de subsidiarité entre collectivités locales et de libre administration. Cela a d’ailleurs eu un impact direct sur les régions, surtout en terme financier, où nous avons désormais une réelle autonomie financière. Ces modifications institutionnelles se sont traduites par l’exercice de compétences transférées (sans les fonds de l’Etat…) entre trois niveaux de collectivités que sont les communes, les départements, avec les conseils préfectoraux et provinciaux ,et les régions. Il existe des domaines d’intervention en terme de politiques publiques où les trois niveaux peuvent intervenir. Toutefois, les communes travaillent sur tout ce qui est services de proximité au citoyen : les services administratifs et les services publics en matière d’équipements, de transport urbain, d’éclairage public, de déchets, de traitement des espaces verts, etc. Et, avec cette nouvelle répartition des compétences, il a été question de supprimer les conseils préfectoraux et provinciaux, cela n’a pas été le cas et ce, pour assumer deux rôles importants. Le premier, c’est que dans le Maroc actuel, il y a encore un effort important à mener – et c’est une bataille de première nécessité – pour améliorer les conditions de vie de la population. Les conseils provinciaux et préfectoraux ont cette lourde tâche avec des moyens humains et financiers comme des compétences propres en matière sociale. Leur second rôle est celui d’apporter leur aide aux communes rurales.
Et concernant les régions, quelles sont leurs prérogatives ?
Au Maroc, les régions ont un rôle prépondérant en matière de développement. Elles ont pour mission de mener à bien chacune, un programme de développement régional (PDR) intégré, en matière de développement économique mais d’un développement économique durable « socialement parlant », environnemental et culturel aussi. La question de la compétitivité de l’économie du Maroc se pose donc aujourd’hui au niveau des régions. Elles ont deux moyens stratégiques de planification : le premier est le schéma régional d’aménagement du territoire, document qui trace les lignes directrices du développement du territoire sur une durée de 25 à 30 ans. Sur la base du schéma est ensuite construit le PDR, qui sert de projet politique au Conseil régional. Les citoyens lors des élections élisent d’ailleurs les conseillers sur ce programme, et pour la durée du mandat qui est de six ans. Un vrai contrat entre l’élu et le citoyen !
De plus, pour permettre aux régions d’avoir la capacité d’exécuter leur programme, il a été créé des établissements publics qu’on appelle les agences régionales d’exécutions des projets (AREP) qui devraient être les bras opérationnels des régions. Construire un nouveau modèle de fonctionnement. De manière générale, le développement régional se fait à vive allure, presque comme sur une autoroute, et Sa Majesté le Roi tient beaucoup à ce projet de régionalisation avancée ; tout comme désormais les citoyens qui identifient très bien leurs élus au niveau régional et en comprennent le fonctionnement.
La région Rabat-Salé-Kénitra affiche un fort taux de croissance économique, avec un secteur tertiaire très fort. Quels sont les atouts de votre territoire ?
Dans le PDR de la région voté en juillet 2017, nous avons retenu deux axes principaux de développement que sont l’attractivité territoriale et le renforcement de la compétitivité économique. Ainsi, si aujourd’hui, on prend un compas et que l’on dessine un demi-cercle, notre région est pratiquement en plein milieu des zones les plus dynamiques du territoire entre Tanger, Fès et Casablanca. Nous avons donc un positionnement géostratégique avec une accessibilité facilitée avec Casablanca notamment, etc… à la fois par le nouveau grand port Atlantique de Kénitra pour la logistique, mais aussi par le triplement de la voie ferrée ainsi que le TGV fin 2018… Aussi, dans la région, sont présents presque tous les domaines d’activités économiques possibles. Nous sommes la deuxième région agricole du Maroc et bientôt la première, grâce à nos importantes ressources en eau. Existe encore d’ailleurs des possibilités importantes d’investissements tant pour les marocains que pour les européens. En matière industrielle, le secteur est en plein essor notamment avec l’installation de l’entreprise de PSA Peugeot Citroën d’ici deux ans environ (et d’un open lab avec les universités), le temps de la construction des infrastructures. L’environnement est aussi très propice pour développer l’industrie aéronautique, électrique et ce qui touche aux nouvelles technologies (dans le domaine des NTIC notamment). Enfin, il existe aussi des possibilités assez importante de développement sur des terrains qui dépendent de la région. Nous sommes d’ailleurs à la recherche d’aménageur-développeur sur ce secteur.
De plus, notre région est aussi la première région universitaire – ce qui est primordial en terme de formation et de compétitivité – dont l’université Mohammed V, l’université internationale de Rabat et des partenariats avec d’autres pays d’Afrique. Nos laboratoires, etc., sont propriétaires de nombreuses innovations et brevets déjà ! Enfin, la région a aussi des potentialités dans le domaine du tourisme, notamment avec des sites historiques et un patrimoine naturel très important et de grand intérêt comme des sites aussi de montagne que nous souhaiterions développer.
La région Rabat-Salé-Kénitra, comme l’Etat marocain, facilite-t-elle l’investissement des entreprises sur son territoire, des aides notamment ?
Les aides à l’investissement et à l’installation existent pour faciliter l’installation de nouvelles entreprises, etc. Dès que le projet atteint 10 millions d’euros, et dans ce qui est prévu en terme règlementaire, ce sera par convention avec l’Etat, notamment au travers d’exonérations pour les premières années concernant les impôts et cotisations sociales. Et il peut y avoir d’autres avantages qui peuvent être accordées aux investisseurs. De plus, dans le cadre de notre PDR, il a été prévu des dispositions incitatives pour venir s’installer dans la région. Aussi, on peut dire que la région souhaite vraiment se positionner en terme économique et donc de faciliter l’installation de nouvelles activités (foncier à disposition, transports, etc.) et donc de nouveaux investisseurs(publics et privés).
Votre région a un accord étroit notamment avec la région Auvergne-Rhône-Alpes (France). Que représente pour vous ce partenariat ?
Il est très important pour nous d’être présents et de travailler ensemble sur des projets entre nos deux régions. Nous travaillons beaucoup sur les questions environnementales notamment sur le traitement par valorisation des déchets, la lutte contre la pollution des eaux développée par les entreprises de la région française. Nous travaillons aussi ensemble, en terme de création de valeur ajoutée, sur l’artisanat. Il s’agit de créer des pôles d’emploi. Aussi, avec la région Auvergne-Rhône-Alpes, nous nous sommes également mis d’accord pour mettre à disposition des entreprises des locaux dans nos deux régions pour la formation des artisans. Ces échanges et projets sont indispensables pour ouvrir de nouvelles opportunités de développement économique pour nos deux régions. Nous avons tous besoin de créer de la valeur ajoutée.
Vous êtes aussi une plateforme importante pour les marchés subsahariens, comment le Maroc se positionne-t-il sur ce sujet ?
Le Maroc aujourd’hui est un partenaire stratégique auprès de différents pays africains. Le pays donne accès à un marché de 1 milliard d’habitants. Notre pays a d’ailleurs signé beaucoup d’accords de libre-échange notamment avec l’Union européenne, le Canada, les États-Unis, les pays arabes comme la Tunisie, la Turquie, les Émirats arabes unis, etc. Cela représente donc des possibilités importantes pour toutes les entreprises qui veulent s’installer au Maroc ou dans d’autres pays du continent et ce, dans le cadre d’un partenariat Nord / Sud / Sud et donc un partenariat « gagnant ». L’Afrique est un continent de grandes opportunités mais qui est en droit aujourd’hui de se saisir d’une nouvelle approche visant à faire profiter les populations des valeurs ajoutées produites et non de rester dans une logique d’exploitation. D’ailleurs le Maroc ne veut pas se mettre dans cette deuxième logique. Nous souhaitons être un partenaire pour le développement de l’Afrique car nous en faisons partie aussi.
La région est très engagée notamment dans la protection de l’environnement. Pouvez-vous nous parler des projets lancés en matière d’accès à l’eau et à l’énergie, etc. ?
Notre PDR est construit sur trois piliers, trois ambitions : sociale, territoriale et économique. Aussi, il y a déjà une forte volonté de faire du développement durable, un principe qui est dans le sous-bassement de toutes les actions. Sur le volet environnemental, aujourd’hui, notre objectif est de travailler sur la politique de l’eau et notamment de réduire les pollutions. Dans ce cadre, on a mis en place des budgets conséquents pour cela. Nous sommes en train d’élaborer des projets pilotes en matière de traitement des eaux usées dans les quatre années à venir et également de mettre en place des projets de valorisation des déchets pour sortir de la logique de l’enfouissement des déchets solides, sans tri ni valorisation. Il y a aussi des projets en matière de développement d’énergies renouvelable avec du photovoltaïque ou d’autres technologies. Nous allons même commencer par le bâtiment siège de la région, et d’autres bâtiments publics pour faire des efforts de gestion. Nous espérons ainsi arriver à une production d’énergie renouvelable à hauteur de 50 % dans des délais assez courts Nous souhaitons réellement être acteur de cette mutation en aidant aussi les plus petites communes.. Nous mettons les moyens pour cela. Enfin, en terme de mobilité propre, nous investissons dans le prolongement du tramway Rabat-Salé pour réduire la pollution atmosphérique.
Vous présidez également l’Organisation des Régions Unies / Forum Global d’Associations de Régions (ORU/FOGAR). Quelles sont vos ambitions ?
En tant que président de l’ORU/FOGAR mais aussi membre de l’Association des régions du Maroc, nous travaillons, sur un objectif important pour moi, c’est de faire de l’ORU/FOGAR une plateforme au service des régions du Sud pour développer des projets qui s’inscrive dans la logique de résilience territoriale et de lutter contre le changement climatique. Mais ce qui se passe aujourd’hui, c’est que lorsque nous allons chercher des financements pour ce genre de projets, il faut que ce soit des projets « bancables », rentables… et nous n’avons pas toujours l’expertise suffisante face à la complexité des procédures pour obtenir des subventions à l’international… Voilà pourquoi une plateforme unique de projets serait bien nécessaire.
Un mot sur la francophonie, puisque vous présidez le groupe de travail « Développement économique » de l’Association Internationale des Régions Francophones. En quoi la langue française constitue-t-elle un avantage pour créer de la valeur, de l’emploi sur votre territoire ?
Que le Maroc soit un pays francophone, cela facilite de manière importante les relations avec l’Europe, la France, la Belgique mais aussi vers l’Afrique. La langue est un vecteur très important en terme de communication et de rapprochement entre les peuples, comme lors d’échanges scolaires ou mieux se connaître entre décideurs également. L’Association des régions francophones a un rôle très important dans ce domaine et ce dans deux sens : le premier, c’est que les partenariats durables réalisés qui se font entre collectivités, permettent que les aides aillent directement vers les populations et non vers les Etats. Le second, c’est qu’il vaut mieux travailler dans le cadre d’instances internationales, comme l’ORU/FOGAR, car cela permet d’optimiser les moyens et de créer une nouvelle approche Nord-Sud / Sud-Nord à développer davantage.