Avec la publication du paquet « Fit-for-55 » et de la Communication sur les cycles du carbone durables, l’Union européenne (UE) s’attaque de front au plus grand défi de notre époque : l’atténuation des changements climatiques.Dans tous les instruments politiques récents de l’UE, le captage et l’utilisation du carbone (CCU) sont clairement identifiés comme une voie essentielle pour réduire les émissions de CO2 et se passer des ressources fossiles. Il est maintenant temps d’aller au-delà des bonnes intentions et de les transformer en actions efficaces.
Le changement climatique est en marche et l’Europe doit être à l’avant-garde
L’urgence des changements climatiques n’a plus besoin d’être démontrée : elle est identifiée, documentée, quantifiée, comme l’a montré tout récemment le rapport 2021 du GIEC. Et il n’y a pas à tergiverser : nos émissions de gaz à effet de serre (GES) doivent diminuer de manière drastique dès maintenant. Notre dépendance aux ressources fossiles doit prendre fin. En tant que l’une des plus grandes économies mondiales et leader dans le domaine des technologies vertes, l’Europe a le potentiel d’être chef de file en termes d’action climatique : elle peut démontrer que la neutralité climatique est possible.
Dans les propositions « Fit-for-55 » et la Communication sur les cycles du carbone durables, les priorités de l’UE sont claires :
a) réduire les émissions de GES en Europe ; b) promouvoir les technologies de remplacement du carbone fossile ; c) développer les solutions d’élimination du carbone qui permettent de capter le CO2 de l’atmosphère ; en bref, réduire, réutiliser, absorber le CO2.
Réduire les émissions à la source est la solution la plus économique et la plus efficace pour atténuer les changements climatiques. Toutefois, avec les infrastructures et les technologies actuelles, certains secteurs (par exemple, le ciment, l’acier, l’aviation, le secteur maritime) ne seront pas en mesure de réduire leurs émissions assez rapidement pour atteindre les ambitions climatiques de l’Europe. C’est là que les notions de « réutilisation » et « d’absorption » entrent en jeu.
Comment pouvons-nous réutiliser le CO2 ? Comment pouvons-nous capter le CO2 présent dans l’atmosphère ? L’une des réponses est la Carbon Capture & Utilisation ou CCU en abrégé.
Qu’est-ce que le captage et l’utilisation du carbone ? Comment peut-il aider ?
Le CCU est un concept large qui englobe tous les processus technologiques et industriels permettant de capter le CO2 dans les fumées industrielles ou directement de l’air et de le convertir en une large gamme de produits du quotidien. Ce concept permet de remplacer les matières premières d’origine fossile avec du CO2 pour des utilisations énergétiques (par ex : carburants renouvelables) et non énergétiques (par ex : produits chimiques de base). Le concept n’est pas nouveau : le CO2 est utilisé dans l’alimentation humaine et animale depuis des décennies. Mais de nouvelles technologies CCU, développées dans le but d’atténuer les changements climatiques, sont apparues ces dernières années et nombre d’entre elles sont prêtes à être commercialisées.
Il existe essentiellement trois types de produits et services CCU :
– Les carburants CCU (également appelés RFNBOs[1]), qui, selon la directive européenne sur les énergies renouvelables, doivent permettre de réduire les émissions de GES d’au moins 70 % par rapport aux carburants fossiles classiques et peuvent aider les transports routiers, aériens et maritimes à atteindre la neutralité carbone.
– Les produits chimiques CCU, qui vont des molécules chimiques de base aux polymères de grande valeur basés sur le CO2 comme matière première alternative du carbone fossile.
– Les matériaux CCU produits par minéralisation du CO2, où le CO2 réagit avec des déchets industriels riches en minéraux pour former des carbonates. Il est ainsi enfermé de manière permanente dans des matériaux de construction tels que le béton, les agrégats et l’asphalte.
Le CCU joue un rôle essentiel dans la réduction de notre dépendance aux ressources fossiles et dans la création d’une industrie neutre en carbone. Les technologies CCU :
- pourraient réduire les émissions nettes de CO2 avec un potentiel estimé jusqu’à 8 Gt de CO2 utilisé par an d’ici 2050[2] ; cela équivaut à environ 15% des émissions mondiales actuelles de CO2
- ont le potentiel technique de découpler la production chimique des ressources fossiles, réduisant les émissions annuelles de GES du secteur jusqu’à 3,5 Gt CO2-eq en 2030[3]
- permettent de créer des émissions négatives lorsque le CO2 est capturé directement dans l’air et stocké de façon permanente par minéralisation dans des matériaux de construction. Les données actuelles suggèrent que jusqu’à 25% du marché du ciment (jusqu’à 1 Gt par an) pourrait être substitué par ces produits de minéralisation, diminuant ainsi largement l’empreinte carbone de ces matériaux[4]
- peuvent être mis en œuvre sans nécessiter de modification importante des infrastructures de production, de distribution et d’utilisation existantes
- apporter des solutions à des secteurs difficiles à décarboner, mais aussi générer des revenus en produisant des produits commercialisables
- favoriser la transition vers un système énergétique basé sur le renouvelable grâce à la production de carburants renouvelables pour stocker et transporter cette énergie propre. Cela augmentera la flexibilité du réseau et permettra à l’Europe de devenir plus souveraine en matière d’énergie.
Pourquoi est-ce un moment charnière pour mettre en place le cadre politique adéquat pour le CCU ?
L’Europe est à la croisée des chemins en matière de politiques de lutte contre le changement climatique, et il en va de même pour le CCU. Le concept du CCU a besoin d’un cadre législatif approprié pour être déployé en Europe et pour maximiser son impact afin d’atteindre les objectifs climatiques.
Les dirigeants européens discutent en ce moment même de la manière de changer la donne :
– La révision de la directive sur les énergies renouvelables définira les mesures incitatives pour le déploiement des projets CCU, par exemple les objectifs spécifiques sur l’utilisation des RFNBOs dans les transports et dans l’industrie d’ici 2030 dans la proposition actuelle.
– La révision de la directive sur le système d’échange de quotas d’émission (ETS) conditionnera la manière dont les émetteurs et les utilisateurs de CO2 seront incités à investir dans la réutilisation du CO2 plutôt que dans la restitution des quotas ETS.
– Les nouvelles propositions sur le transport aérien et maritime introduiront des objectifs spécifiques de réduction des émissions de GES et même des objectifs spécifiques pour les carburants CCU, par exemple l’e-kerosène.
– La directive sur la taxation de l’énergie établira les règles d’exonération des produits CCU pour les années à venir.
– Le mécanisme de certification de l’élimination du carbone peut contribuer à stimuler l’absorption du carbone, y compris par le biais du CCU (par exemple, par la minéralisation à partir de la capture directe dans l’air).
Ces législations sont actuellement débattues au Parlement européen et au Conseil de l’UE. C’est maintenant que les dirigeants européens peuvent faire la différence et faire les bons choix pour mettre l’Europe sur la voie d’une économie circulaire du carbone basée sur l’utilisation du CO2.
Pour que le CCU donne des résultats, il faut que les législations européennes suivent des principes stricts :
– La réduction des émissions de CO2 est et doit rester la priorité numéro un dans tous les secteurs de la société ;
– Toutes les émissions de CO2 doivent être comptabilisées ;
– Mais aucune émission de CO2 ne doit être comptabilisée deux fois, comme c’est le cas actuellement pour les carburants CCU.
Que peuvent faire les responsables politiques pour soutenir le CCU ?
Tout d’abord, les responsables politiques de l’UE doivent soutenir les dernières propositions européennes, comme le paquet « Fit-for-55 » et la Communication sur les cycles carbone durables, qui vont toutes dans la bonne direction et identifient le CCU comme un outil d’atténuation des changements climatiques. Ils peuvent également renforcer les mesures prévues par ces législations, par exemple en introduisant des objectifs plus ambitieux concernant l’utilisation de carburants et de produits chimiques issus du CCU, ou en veillant à ce que la révision de l’ETS incite nombre d’acteurs industriels à investir dans le CCU.
Deuxièmement, ils doivent veiller à ce que le CCU soit soutenu de manière cohérente dans l’ensemble du cadre législatif européen, par exemple dans la taxonomie de l’UE pour les activités durables, ou dans les règles d’accès à l’électricité renouvelable en vertu de la directive sur les énergies renouvelables.
Troisièmement, ils peuvent soutenir les incitations financières et les catalyseurs du CCU, en encourageant les projets CCU via le Fonds européen pour l’innovation.
Enfin, les responsables politiques nationaux peuvent amplifier les objectifs de l’UE en adoptant des législations nationales spécifiques pour inscrire les objectifs CCU dans la loi et soutenir les projets locaux de CCU.
La transition vers un monde plus durable consiste à protéger l’environnement, à modifier l’économie et à transformer les sociétés. La communauté CCU est prête à jouer son rôle en contribuant à la neutralité climatique, en créant de nouveaux emplois et de nouveaux modèles économiques, et en aidant les sociétés à s’affranchir des ressources fossiles.
Notre message aux dirigeants européens est clair : aidez-nous à vous aider, aidez-nous à faire du CCU l’un des moteurs qui permettront à l’Europe d’atteindre la neutralité carbone.
[1] RFNBOs: Renewable Fuels of Non-Biological Origin
[2] Hepburn et al., 2019, doi.org/10.1038/s41586-019-1681-6
[3] Kätelhön et al., 2019, doi.org/10.1073/pnas.1821029116
[4] Ostovari et al., 2020, doi.org/10.1039/D0SE00190B