Le Conseil des gouverneurs de la BCE le 29 octobre dernier, a décidé de maintenir sa politiques monétaires de soutien et a indiqué que dans le contexte actuel difficile, et orienté à la baisse, il évaluera soigneusement les informations reçues, y compris les perspectives liées à la pandémie pour le déploiement de vaccins et les évolutions du taux de change.
La nouvelle série de projections macroéconomiques des services de l’Eurosystème en décembre permettra une évaluation approfondie des perspectives économiques et de l’équilibre des risques. Sur la base de cette évaluation actualisée, la BCE pourra revoir et réajuster son approche monétaire, le cas échéant, pour répondre à la situation en cours. Les 11 et 12 novembre, la BCE a tenu son forum sur la banque centrale, qui a examiné les défis auxquels la banque centrale est confrontée dans un monde en mutation.
Le forum a mis en exergue la politique monétaire de la BCE face à la pandémie de COVID-19 et son environnement particulier. La BCE a révisé sa stratégie à venir afin de soutenir l’économie et comment se donner les moyens de fournir les conditions de financement appropriées.
Ainsi, la présidente Madame Christine Lagarde a déclaré que la pandémie a entraîné une récession inhabituelle et entraînera probablement une reprise rapide. Que l’Europe a réagi rapidement et de manière décisive. La politique commune européenne a prouvé que lorsque les différentes autorités travaillent ensemble, les pays peuvent absorber avec succès le choc pandémique. La deuxième vague de la COVID-19 présente de nouveaux défis et de nouveaux risques. Mais le plan de gestion est le même.
Irene TINAGLI, présidente de la Commission des affaires économiques et monétaires (ECON) du parlement européen : ‘’La BCE était à nos côtés lors de la première vague et sera là pour la deuxième vague !’’
Nous souhaiterions en savoir plus sur votre évaluation des perspectives économiques actuelles dans la zone euro et sur vos attentes en matière de suivi de l’évolution de la situation ?
Christine LAGARDE, présidente de la Banque centrale européenne :
Merci beaucoup madame la présidente. vous avez abordé la plupart des questions clés que nous traitons depuis septembre et plus encore.
Les pandémies sont des événements très rares et imprévisibles et, par conséquent, les perspectives économiques sont caractérisées par une grande incertitude. Le principal défi pour les décideurs sera de maintenir l’équilibre jusqu’à ce que la vaccination soit bien avancée et déployée, et, que l’économie et la reprise puissent se relancer. Dans cette situation, il est essentiel que les politiques publiques tracent une voie claire et inspirent la confiance aux citoyens européens.
Afin de persévérer en ces temps difficiles, il nous faut de bonnes politiques publiques. Pour ce faire, elles doivent être à la fois ambitieuses et réalistes. Je salue ici, le rôle central joué par le Parlement européen pour faire en sorte que les politiques de l’UE favorisent les citoyens européens.
Tout d’abord, je parlerai de l’évolution des perspectives économiques et de l’incidence de l’incertitude sur l’économie. Deuxièmement, je parlerai des rôles respectifs de la politique monétaire de la BCE et de la politique budgétaire dans ce contexte de grande incertitude. L’incertitude à laquelle nous faisons face en ce moment rend notre travail incroyablement difficile, tout comme le vôtre.
Examinons les perspectives économiques et, comme je l’ai dit, la politique monétaire et l’incertitude dans ce contexte. De toute évidence, les dernières nouvelles concernant le vaccin semblent très encourageantes. La récente augmentation du nombre de cas de coronavirus et la réimposition connexe d’un certain nombre de mesures d’endiguement s’ajoutent au niveau d’incertitude déjà élevé et posent un défi sérieux à la zone euro et à l’économie mondiale dans son ensemble.
Après un rebond solide, mais partiel et inégal, de la croissance du PIB réel au troisième trimestre, les dernières enquêtes et les indicateurs indiquent que l’activité économique de la zone euro a perdu de la vitesse au cours du quatrième trimestre. La résurgence des infections à la COVID-19 pèse lourd, particulièrement sur l’activité du secteur des services. C’est le cas pour des raisons sectorielles, mais c’est aussi à cause des mesures volontaires et obligatoires de distanciation sociale qui ont été instaurées.
L’indice des directeurs d’achats, l’indice PMI de la zone euro, montre que si la production manufacturière a continué de s’améliorer, l’activité du secteur des services s’est encore affaiblie en octobre. Et cet impact inégal est également évident dans les pays de la zone euro, les pays particulièrement dépendants du tourisme et des voyages étant les plus touchés. Jusqu’à présent, les mesures de soutien du gouvernement, en particulier les régimes de travail à court terme, ont protégé les ménages contre les pertes d’emploi et la baisse des revenus. Cela n’a pas empêché le chômage d’augmenter dans certains pays.
De plus, on s’attend à ce que les consommateurs demeurent très prudents dans le contexte actuel, très incertain, car les répercussions de la pandémie menacent les perspectives d’emploi et de revenu des gens. À leur tour, la faible demande et l’affaiblissement des bilans et de la rentabilité des entreprises pèsent sur les investissements des entreprises. Les entreprises demeureront probablement hésitantes à engager des fonds pour des investissements à long terme tant qu’il subsistera une grande incertitude quant à l’évolution de la pandémie, ainsi qu’au déploiement possible d’un vaccin efficace.
Dans l’ensemble, l’économie de la zone euro devrait être sévèrement affectée par les retombées de l’augmentation rapide des infections et du rétablissement des mesures de confinement, ce qui représente un risque net à la baisse pour les perspectives économiques à court terme. La faiblesse de l’activité économique depuis le début de la pandémie se reflète également dans l’évolution de l’inflation. Les faibles prix de l’énergie et la réduction temporaire de la taxe sur la valeur ajoutée en Allemagne freinent l’inflation. Mais la faiblesse de la demande, notamment dans les secteurs liés au tourisme et aux voyages, et l’importante faiblesse des marchés du travail et des produits accentuent la pression à la baisse.
Dans ce contexte, nous nous attendons à ce que l’inflation globale reste négative jusqu’au début de 2021.
Le rôle clé de la politique monétaire dans cette situation est de préserver des conditions de financement favorables pour tous les secteurs et toutes les juridictions de la zone euro. En conséquence, notre rôle est crucial pour soutenir l’activité économique et préserver la stabilité des prix à moyen terme.
En ce qui concerne les conditions de financement favorables, ce qui importe, ce n’est pas seulement le niveau des conditions de financement, mais aussi la durée de l’aide politique. À cet égard, il est essentiel de préserver des conditions de financement favorables aussi longtemps que nécessaire pour soutenir les dépenses des ménages, maintenir le flux de crédit et décourager les licenciements massifs.
Comme annoncé lors de notre réunion d’octobre au cours des prochaines semaines, le Conseil des gouverneurs évaluera attentivement les informations reçues, y compris la nouvelle série de projections macroéconomiques du personnel de l’Eurosystème en décembre.
Ces projections amélioreront l’ensemble de nos informations et permettront une réévaluation approfondie des perspectives économiques et de l’équilibre des risques. Sur la base de cette évaluation actualisée, le conseil d’administration réajustera ses instruments le cas échéant pour répondre à la situation en cours en vue de favoriser la convergence de l’inflation vers notre objectif de manière soutenue, conformément à notre engagement en faveur de la symétrie.
Et pendant que toutes les options sont sur la table, le programme d’achat d’urgence en cas de pandémie que bon nombre d’entre vous connaissez sous le nom de PEPP et toutes les opérations de refinancement à long terme ciblées que vous connaissez sous le nom de TLTRO ont prouvé leur efficacité dans l’environnement actuel et peuvent être ajustées de façon dynamique pour réagir à l’évolution de la pandémie. Il est donc probable qu’ils resteront les principaux outils d’ajustement de notre politique monétaire.
Nous avons réagi rapidement et avec force à la première vague qui a frappé les économies de la zone euro en concevant de nouveaux outils spécifiquement adaptés à la nature du choc et en rééquilibrant notre portefeuille bien diversifié d’instruments existants. Les mesures ont très bien réussi à stabiliser les marchés financiers et à soutenir l’activité économique, contribuant ainsi à compenser l’impact à la baisse de la pandémie sur la trajectoire projetée de l’inflation.
Nous aborderons la phase actuelle de la crise avec la même approche et la même détermination.
Irene TINAGLI, présidente de la Commission des affaires économiques et monétaires (ECON) du parlement européen :
Nous souhaiterions aborder deux sujets majeurs lors de ce dialogue, qui sont : les rôles respectifs des politiques monétaire et budgétaire ? et quels sont les effets de l’incertitude provoquée par la pandémie sur la politique monétaire ?
Christine LAGARDE, présidente de la Banque centrale européenne :
La réaction à la crise à ce jour a illustré de façon éloquente comment la politique monétaire et la politique budgétaire peuvent se renforcer mutuellement dans les circonstances actuelles. Pour la politique monétaire, comme je l’ai dit plus haut. Il est crucial d’assurer des conditions de financement favorables à l’ensemble de l’économie.
Parallèlement, la politique budgétaire a un rôle primordial à jouer pour stimuler la demande à court et à moyen terme, renforcer la confiance et accroître le potentiel de croissance de nos économies. À mon avis, la politique budgétaire joue ce rôle particulier pour trois raisons clés. Les mesures de stimulation devaient être prises rapidement. Deuxièmement, la politique budgétaire a une dimension sectorielle importante pour laquelle la politique monétaire n’est pas le bon instrument. Troisièmement, certains des outils stratégiques, par exemple les garanties de crédit, sont de nature foncièrement fiscale.
À ce jour, les gouvernements de la zone euro ont mis en œuvre des mesures budgétaires représentant plus de quatre pour cent du PIB de la zone euro en 2020 seulement. Ces mesures s’ajoutent aux initiatives de soutien à la liquidité et au fonctionnement des stabilisateurs automatiques. Ces mesures budgétaires nationales ont été très efficaces. Les programmes de maintien de l’emploi et de garantie de prêts en particulier ont contribué à assurer l’emploi et à prévenir la perte inutile d’entreprises viables.
Et ils ont été complétés de façon décisive par le soutien au niveau de l’UE, les soi-disant filets de sécurité qui renforcent leurs effets de confiance en soutenant la demande et en facilitant l’accès au crédit pour les entreprises en particulier. Ces mesures ont également renforcé l’efficacité de notre politique monétaire. Bien que les mesures budgétaires prises en réponse à la pandémie devraient, dans la mesure du possible, être ciblées et temporaires, la faiblesse de la demande et le risque accru d’un retard de la reprise justifient le soutien continu des politiques budgétaires nationales.
Une politique budgétaire ambitieuse et coordonnée demeure essentielle, et nous devons absolument éviter les effets en cascade. L’investissement public peut avoir une incidence positive sur la croissance économique dans les circonstances actuelles. Dans un contexte de politique monétaire accommodante, les investissements publics ont les plus forts effets sur la demande à court terme, y compris en termes de déploiement internationaux. En outre, en période d’incertitude élevée, l’investissement public renforce la confiance et tend donc à avoir un multiplicateur budgétaire plus élevé.
En renforçant la confiance, une poussée de l’investissement public est également susceptible de favoriser l’investissement des parties prenantes privées.
Dans le même temps, il ne faut pas oublier que les effets positifs à long terme sur la production potentielle de l’économie et l’impact sur les finances publiques dépendent de façon cruciale de l’efficacité de l’investissement et de la productivité du capital public.
L’investissement public et les réformes, particulièrement axées sur les défis à moyen et à long terme tels que la durabilité environnementale et la numérisation, peuvent jeter un pont vers une reprise réussie et inclusive.
Nous ne devrions pas penser aux deux en vase clos. La combinaison de réformes et de mesures de relance axées sur l’investissement pourrait stimuler encore plus la croissance. Ensemble, ces deux éléments devraient façonner l’avenir de nos économies et veiller à ce que nos économies s’adaptent à la nouvelle norme qui se concrétisera une fois que le pic de la pandémie sera terminé.
Pour ces deux raisons, le paquet Next Generation EU doit être opérationnel sans délai.
C’est d’une importance capitale. Les ressources supplémentaires du paquet peuvent faciliter les politiques budgétaires expansionnistes, notamment dans les pays de la zone euro disposant d’un espace budgétaire limité. Nous devrions également veiller à ce que des dispositions appropriées soient prises pour que ces fonds soient dépensés de façon ordonnée et efficace.
Je vous félicite donc de la récente contribution de votre Parlement en faveur de la transparence et de la responsabilité dans l’utilisation de ce soutien budgétaire de l’UE.
Il est plus important que jamais que la politique monétaire et la politique budgétaire continuent de travailler main dans la main comme nous l’avons fait.
Les garanties du traité font en sorte que cela se fasse dans le plein respect du mandat de la BCE et de son indépendance. Permettez-moi donc de conclure. En soulignant que la réponse de l’Europe à la crise jusqu’à présent a été non seulement impressionnante, mais aussi très efficace.
Dans la deuxième phase de la crise, nous devons persévérer et continuer avec le même engagement à produire des résultats pour les citoyens européens. La grande majorité des Européens, en fait, presque tous, d’après le dernier sondage Eurobaromètre, que vous connaissez sans doute tous, exigent que nous prenions des mesures en ce sens. Et comme je l’ai dit dans mon introduction, assurons-nous que les politiques que nous élaborons nous permettent d’y arriver.
Comme Johann Wolfgang van Goethe l’a dit un jour, « Dans le domaine des idées, tout dépend de l’enthousiasme. Dans le monde réel, tout repose sur la persévérance. » Nous allons donc persévérer.