Lorsque nous regardons autour de nous, l’état de notre environnement et de notre climat en 2020, les choses peuvent sembler assez sombres. Nous voyons tous les résultats du changement climatique dans le terrifiant ciel orange de la Californie et dans les températures de 38 degrés en Sibérie. Nous ressentons l’air sale dans nos poumons, responsable de 400 000 décès prématurés en Europe chaque année.
Cependant, très souvent, l’heure la plus sombre est celle qui précède l’aube. Les choses changent. Notre monde est confronté aux choix que nous devons faire pour protéger notre environnement et empêcher que le changement climatique ne devienne incontrôlable. Le Green Deal européen vise à faire de l’Europe le premier continent neutre sur le plan climatique d’ici 2050. La semaine dernière, dans son discours sur l’état de l’Union, la présidente Von der Leyen a présenté notre proposition visant à faire passer notre objectif de réduction des émissions de 40 % à 55 % d’ici 2030.
La Commission s’est également engagée à mettre sur la table, d’ici le milieu de l’année prochaine, de nouvelles propositions concernant la législation essentielle en matière d’énergie et de climat. Elle s’est notamment engagée à adapter le système communautaire d’échange de quotas d’émission et à renforcer les règles d’efficacité énergétique et les normes en matière de CO2 pour les voitures, les camions et les bus. Nous ferons preuve de solidarité avec les régions européennes les plus touchées afin de garantir que notre transition soit socialement équitable.
Nous allons donc dans la bonne direction. Mais la tâche qui nous attend ne sera pas facile. Pour réussir, chacun en Europe devra jouer son rôle – chaque individu, chaque entreprise, chaque autorité publique. Et cela inclut les responsables de l’application des règles de concurrence.
Comment la politique européenne de la concurrence peut-elle soutenir au mieux le Green Deal ?
Le moment est donc venu de lancer un débat européen sur la manière dont la politique de concurrence de l’UE peut soutenir au mieux le Green Deal.
Dans les prochaines semaines, nous publierons un appel à contributions sur certaines questions fondamentales concernant la manière dont les règles de concurrence et les politiques de durabilité fonctionnent ensemble et sur la possibilité d’améliorer encore cette collaboration. Nous chercherons des idées, non seulement auprès d’experts de la concurrence, mais aussi auprès de tous ceux qui sont concernés par cette question : industrie, groupes environnementaux ou encore organisations de consommateurs. Nous devons travailler sans tarder et être à l’écoute. Nous demanderons donc que les contributions nous soient envoyées d’ici à la mi-novembre. Cela nous permettra de planifier une conférence pour le début de l’année prochaine qui rassemblera ces différentes perspectives.
Nous sommes ouverts à toutes les idées, quelle que soit leur origine. Mais nous devons être réalistes. La politique de la concurrence n’est pas, et ne peut pas être, en tête lorsqu’il s’agit de rendre l’Europe verte. Il existe des dizaines de moyens bien meilleurs et bien plus efficaces de susciter les changements fondamentaux dont nous avons besoin, tels que des objectifs fermes de réduction des émissions de carbone et plus de mille milliards d’euros d’investissements publics. La politique de la concurrence doit bien entendu apporter sa pierre à l’édifice. Mais elle ne peut pas remplacer le rôle essentiel de la réglementation.
Et en tout état de cause, en tant que responsables de l’application des règles de concurrence, nous avons aussi notre propre mission à remplir : protéger les consommateurs en protégeant la concurrence. C’est une tâche qui nous a été confiée par les traités et qui est essentielle pour que notre économie fonctionne équitablement pour tous et pour un avenir vert.
La politique de la concurrence ne remplacera donc pas les lois environnementales ou les investissements verts. La question est plutôt de savoir si nous pouvons faire plus, pour appliquer nos règles de manière à mieux soutenir le Green Deal.
Pourquoi la politique de concurrence est-elle déjà une politique verte ?
Les règles de concurrence jouent déjà un rôle de soutien essentiel en nous aidant à atteindre nos objectifs écologiques.
La concurrence est le moteur de l’innovation qui permet de développer de nouvelles technologies susceptibles de nous aider à faire plus, tout en nuisant moins à l’environnement. La concurrence contribue également à maintenir les prix bas, de sorte que nous pouvons plus facilement nous permettre d’investir dans le passage au vert, que ce soit en payant quelques milliers d’euros de moins pour acheter une voiture électrique ou quelques centaines de milliers d’euros de moins pour une éolienne géante.
La concurrence incite également l’industrie à utiliser efficacement les ressources limitées de notre planète. Sur un marché concurrentiel, les entreprises n’ont pas d’autre choix que de réduire les coûts de leurs activités, ce qui implique d’utiliser moins de ressources, comme les matières premières et l’énergie.
Mais bien sûr, elles ne le feront que si ces ressources sont coûteuses. Si l’industrie peut simplement émettre autant de pollution qu’elle le souhaite, tout en laissant le reste d’entre nous payer la facture, alors aucune concurrence ne pourra remédier à cette défaillance du marché.
Ainsi, l’application de la concurrence fonctionne mieux, en tant que politique verte, lorsqu’elle va de pair avec des réglementations qui font endosser aux entreprises le coût des dommages qu’elles causent. Lorsque nous appliquons nos règles en matière de concurrence et de fusions, nous défendons la concurrence qui aide ces réglementations vertes à atteindre leurs objectifs.
Si la concurrence et les politiques publiques encouragent comme il se doit les entreprises européennes, elles seront bien placées pour devenir des entreprises de premier plan en matière d’efficacité climatique, capables de prospérer dans l’économie verte de demain.
Cela vaut encore plus pour nos règles en matière d’aides d’État.
Pour atteindre ses objectifs écologiques, l’Europe aura besoin d’une quantité considérable d’investissements durables. Et même si une grande partie de cet argent devra provenir des entreprises privées, nous aurons besoin du catalyseur que constituent les dépenses publiques pour que cela se fasse assez vite. C’est pourquoi plus d’un tiers – au moins 37 % – des 670 milliards d’euros du nouveau mécanisme européen de relance et de résilience devront être consacrés à des projets qui poursuivent les objectifs écologiques de l’Europe. C’est également la raison pour laquelle nos règles en matière d’aides d’État encouragent les investissements écologiques, en prévoyant des conditions qui contribuent à garantir que ces investissements sont réalisés de la manière la plus efficace et la plus abordable possible.
L’année dernière, nous avons approuvé un plan prévoyant que sept pays de l’UE investissent conjointement plus de trois milliards d’euros dans un « IPCEI » – un projet important d’intérêt européen commun qui vise à développer des batteries innovantes et plus écologiques. Ces nouvelles batteries nous aideront à nous détourner des combustibles fossiles. Elles seront également fabriquées et recyclées de manière durable, de sorte qu’un climat plus sain ne se fasse pas au prix d’une pollution accrue.
Ce projet est clairement une bonne nouvelle, mais nous devions nous assurer qu’il ne porterait pas atteinte à la concurrence. Sinon, nous nous retrouverions à l’avenir avec des prix plus élevés et moins d’innovation pour les batteries. Nous avons donc veillé à ce que l’argent soit versé à de nombreuses entreprises différentes et pas seulement à quelques-unes. Nous avons également veillé à ce que les principaux résultats soient largement partagés avec les scientifiques et l’ensemble de l’industrie européenne.
Les règles relatives aux aides d’État jouent également un rôle essentiel pour garantir que la transition verte soit abordable. Elles garantissent que l’aide n’excède pas le montant réellement nécessaire et que l’argent des contribuables n’est pas gaspillé pour des investissements que le secteur privé aurait réalisés de toute façon. Par exemple, depuis que nos règles ont commencé à exiger des appels d’offres concurrentiels pour les aides aux grandes installations d’énergie renouvelable, le coût de ces aides a diminué incroyablement vite. En Allemagne, le coût de l’aide à l’énergie solaire a été réduit de moitié. Certains projets d’éoliennes en mer en Europe se réalisent maintenant sans aucune subvention publique.
Nos règles en matière d’aides d’État à l’énergie et à l’environnement contribuent à rendre tout cela possible. Nous devons veiller à ce que ces règles soient adaptées à l’augmentation considérable des investissements verts qui va suivre grâce au Green Deal.
Dans les prochaines semaines, nous lancerons donc une consultation publique sur ces règles relatives aux aides d’État. Nous voulons nous assurer qu’elles donnent aux gouvernements européens toute la marge de manœuvre nécessaire pour réaliser ces investissements écologiques sans pour autant gaspiller l’argent des contribuables, en « éco-blanchissant » cette course insoutenable entre les pays de l’UE pour soutenir leurs industries nationales.
Nous voulons également examiner si les aides d’État ne sont pas utilisées à outrance pour protéger certaines industries à forte intensité énergétique de la nécessité de supporter les coûts environnementaux de l’énergie qu’elles utilisent. Ces aides peuvent empêcher les émissions de sortir de l’Europe. Mais elle ne nous aide pas à décarboniser notre économie, et elle laisse à d’autres industries encore plus de travail pour atteindre nos objectifs écologiques.
C’est pourquoi nous venons d’actualiser nos règles en matière d’aides d’État afin d’aider les industries à forte intensité énergétique à faire face à la hausse des prix de l’électricité due au système communautaire d’échange de quotas d’émission. Nous avons ainsi fait en sorte que seules les industries qui courent un risque réel de fuite de carbone en raison de ces coûts puissent bénéficier d’une aide. Nous leur avons également demandé d’améliorer leur efficacité énergétique en échange d’une aide. Nous devrons également examiner si nos règles en matière d’aides d’État pour la protection de l’environnement et l’énergie contribueront à rétablir cet équilibre.
Les règles en matière d’aides d’État peuvent-elles contribuer à une politique de concurrence plus verte ?
Dans la transition verte, ce ne sont pas les règles de la concurrence qui sont le moteur du changement, mais la réglementation et les investissements. Mais elles sont un élément essentiel de la transition, qui relie ledit moteur aux roues et produit des résultats sur le terrain.
La question que nous nous posons, dans ce nouveau débat public, est de savoir si nous pouvons faire plus pour que cette transition se fasse en douceur et pour contribuer à atteindre les objectifs du Green Deal.
Une grande partie des aides d’État que les gouvernements accordent aujourd’hui soutiennent déjà l’environnement et les énergies propres. Mais nous voulons encore voir s’il existe des moyens de rendre plus écologiques les autres dépenses européennes en matière d’aides d’État.
Une possibilité pourrait être d’inciter les gouvernements qui pensent vert et qui exigent que les projets de construction qu’ils financent utilisent des matériaux recyclés, pour ne prendre qu’un exemple. Nos règles fixent des limites quant au pourcentage de financement d’un projet par des fonds publics, afin de s’assurer que le secteur privé y contribue également. Nous pourrions également envisager d’accorder une sorte de « prime verte », qui permettrait aux gouvernements d’utiliser davantage d’aides d’État pour des projets contribuant réellement à nos objectifs écologiques. Nous pourrions aussi examiner comment tirer parti du succès des appels d’offres concurrentiels pour réduire les coûts des énergies renouvelables et voir si nous pouvons étendre cette approche à d’autres domaines.
Par ailleurs, nous pourrions envisager la possibilité d’établir des règles strictes, exigeant que les aides ne compromettent pas le Green Deal. Nous pourrions refuser d’approuver des aides qui porteraient atteinte à l’environnement ou qui maintiendraient en activité des usines ou des centrales électriques polluantes. Bien entendu, cela devrait se faire dans les limites du traité et dans le respect des droits des États membres.
Et les règles antitrust aussi ?
Nous voulons également voir si la manière dont nous appliquons nos règles antitrust pourrait soutenir davantage les efforts de l’industrie pour devenir plus verte.
Nous n’atteindrons nos objectifs écologiques que si chacun – y compris les entreprises – assume sa part de responsabilité. C’est pourquoi plusieurs autorités nationales de la concurrence en Europe examinent comment les règles antitrust pourraient contribuer à soutenir les projets écologiques de l’industrie.
En juillet de cette année, l’autorité néerlandaise de la concurrence a proposé un nouveau projet de lignes directrices visant à permettre aux entreprises d’accepter plus facilement de fabriquer des produits plus écologiques sans enfreindre les règles de la concurrence. Ces derniers jours, l’autorité grecque de la concurrence a publié un document très intéressant, qui examine comment la politique de la concurrence pourrait contribuer davantage à soutenir la transition verte.
Ce sont des questions vitales pour notre avenir vert. Le débat public que nous lançons nous donnera l’occasion d’aborder ces questions dans une perspective européenne.
Nous nous félicitons que les entreprises décident de travailler ensemble, pour les aider à passer encore plus vite au vert. De plus, nos règles garantissent que ces accords de durabilité ne portent pas atteinte à la concurrence et ne nuisent pas aux consommateurs européens.
Mais nous savons qu’en pratique, il n’est pas toujours facile pour les entreprises d’être sûres que leurs accords tombent du bon côté de la ligne. C’est pourquoi nous examinons comment nous pourrions donner plus de clarté dans nos directives sur les accords horizontaux entre concurrents. Nous sommes également prêts à donner des assurances, dans les cas appropriés, que des accords particuliers sont conformes aux règles – ce qui donnera aux entreprises des exemples concrets sur lesquels elles pourront s’appuyer. J’encourage les entreprises à nous contacter si elles pensent avoir un bon candidat pour ces directives.
Quelle est votre conclusion ?
La transition verte est un enjeu majeur. Nous avons besoin d’un effort de toute notre société pour nous assurer que nous sommes sur la bonne voie.
C’est un grand défi pour les responsables de l’application des règles de concurrence. Mais c’est aussi un rappel que nous ne pouvons pas tout faire par nous-même. Il s’agit d’un travail d’équipe, et aucun d’entre nous ne doit ou ne peut être seul le sauveur de l’environnement européen.
Alors que notre débat sur l’écologisation de la politique de concurrence prend forme, nous ne lutterons pas pour remporter des applaudissements en rendant l’Europe verte à nous seuls. Nous voulons plutôt trouver notre place au sein de l’équipe qui veillera à ce que nous léguions un monde plus sain à nos enfants.