Le tarissement de l’investissement public entraine une dégradation certaine des infrastructures et grève le développement de nouveaux projets. L’entretien et le lancement de nouveaux projets sont pourtant indispensables à un retour de croissance.
Entretien avec Jean-Louis Marchand, président de la commission formation de la fntp et auteur, pour le medef, d’un rapport intitulé « les infrastructures de réseaux au service de la croissance »
Vous avez présidé à la réalisation pour le Medef d’un rapport sur les infrastructures de réseaux. Quel en est l’objectif ?
Le plan Junker est un projet politique qui a pour but de recréer une envie d’investir à long terme et dans les infrastructures. Nous essayons de mettre en place la même dynamique en France c’est-à-dire de redonner l’envie d’investir à long terme en fléchant de l’argent privé. Recréer les conditions d’investissement à long terme, avec une épargne privée disponible abondante : les assurances, les banques, les gestionnaires d’épargne privée ont des fonds qui pourraient être placés dans des infrastructures car ils sont en recherche d’investissements à long terme et à faible risque.
Quel est l’état global des infrastructures en France ?
En France, on vit toujours sur l’idée que nous sommes très bons en matière d’infrastructure, ce qui est de moins en moins vrai. Le Forum économique mondial produit tous les ans un classement des pays par qualité de service des infrastructures et, depuis 10 ans, nous perdons une place tous les ans. Sur les routes, nous étions premiers en 2008-2009, nous sommes aujourd’hui 7e. Concernant les ports, nous étions 10e, nous sommes aujourd’hui 26e ! Vu de l’extérieur, la dégradation de la qualité de service offerte par les infrastructures en France est objective.
« Nous n’aurons pas d’autre solution que de faire appel à l’argent privé pour investir dans nos infrastructures.»
Quels sont les réseaux infrastructures pris en compte par ce rapport ?
Nous avons examiné l’ensemble des infrastructures linéaires, la « maille » des réseaux et non les noeuds : les routes, les voies ferrées, les voies fluviales, les réseaux de télé communication, les réseaux de transport, de distribution d’énergie, les réseaux d’eau et d’assainissement, pour nous demander, compte tenu de tout ce qui a été décidé, de tout ce qu’il faut entretenir, combien il faudrait investir chaque année à l’horizon 2020. Il faudrait investir 50 milliards d’euros par an pour la maintenance et le développement des projets décidés (Grand Paris, Canal Seine Nord, liaison Lyon-Turin, Compteurs Linky, Plan Fibre Optique…).
Face au désengagement de l’État, comment entretenir et financer le développement de nouvelles installations ?
Les infrastructures sont aujourd’hui financées pour une large part, par de l’argent public et dans une moindre mesure, par de l’argent privé. Aujourd’hui, il y a environ 42 milliards d’euros investis chaque année dont une dizaine de milliards vient de l’argent privé. Pour passer à 50 milliards, il faudra nécessairement faire appel aux fonds privés pour compenser la baisse des investissements publics et l’augmentation des besoins. Il faut impérativement créer les conditions d’investissement de cet argent privé dans les infrastructures.
Par ailleurs, il existe un réel problème de gouvernance des infrastructures en France. La dérégulation des telecom, la dérégulation de l’énergie et la décentralisation des routes ont mis fin aux politiques globales. Les collectivités locales font ce qu’elles peuvent dans leur coin et les nouvelles régions, qui ont pour compétence officielle le développement économique, n’en ont aucune en matière d’infrastructure. C’est aberrant. Il faut absolument que les nouvelles régions, au travers de leurs compétences en matière de développement économique et de leur obligation de production d’un SRADDET (schéma directeur d’aménagement du territoire), puissent intervenir sur la gouvernance des infrastructures et participer aux arbitrages à rendre sur la répartition de l’argent public entre les différents types d’infrastructure.
Quel est votre objectif avec ce rapport ?
Notre objectif est de promouvoir des plateformes au niveau de chaque région, afin de donner une visibilité aux projets, notamment au regard des investisseurs privés. Le plan Junker s’efforce de faire cela au niveau européen avec la BEI. Il faudrait faire la même chose au niveau régional, chaque plateforme proposant une typologie descriptive des projets d’infrastructure à l’intention d’éventuels investisseurs privés intéressés.
« Il est absurde de maintenir des seuils élevés en dessous desquels il ne peut pas y avoir de PPP. »
Est-il possible d’évaluer l’impact économique d’une nouvelle politique de développement des infrastructures ? Le problème est le suivant : est-on capable d’entretenir toutes nos infrastructures?
Et la réponse aujourd’hui est non. Il faudra rendre des arbitrages sur ce qu’on entretient en priorité. Nous n’aurons pas d’autre solution que de faire appel à l’argent privé. Le peu d’argent public que nous avons aujourd’hui, utilisons le de façon la plus efficace. Le bon niveau sera le niveau régional pour rendre ces arbitrages. Le lien entre investissement, infrastructure et croissance est patent en termes de compétitivité. Si les infrastructures sont au bon endroit et bien dimensionnées alors, effectivement, cela impacte fortement l’activité économique.
Comment mettre en place ce dispositif ?
Notre objectif est, d’ici le mois de juin, d’identifier quatre régions pilotes. La Caisse des dépôts et consignations doit avoir un rôle à jouer. Il faut vis-à-vis des régions un tiers de confiance qui soit le garant d’un certain nombre de règles vis-à-vis de la plateforme. Concernant le Grand Paris, par exemple, on s’aperçoit que de nombreux investisseurs privés internationaux seraient prêts à investir, mais la structure juridique n’a pas été pensée pour cela, du coup c’est très compliqué.
Le PPP est donc la solution au tarissement pour garantir l’avenir de nos infrastructures ?
Il faut que les réticences sur les PPP, quelle que soit la forme qu’ils prennent, soient vaincues. Et ces réticences sont nombreuses. On a, par exemple, l’impression que les PPP sont réservés aux grands groupes. Mais ce ne sont pas nécessairement de gros acteurs dont nous avons besoin mais des acteurs pérennes. Il est absurde de maintenir des seuils élevés en dessous desquels il ne peut pas y avoir de PPP. Pourquoi empêcher des entreprises moyennes et solides de prendre des « petits » PPP de quelques centaines de milliers d’euros ? Il faudrait au moins expérimenter cela! Nous devons également faire face à une forme de réticence des collectivités territoriales à pré-affecter des recettes futures. Le PPP, c’est souvent le paiement par une collectivité territoriale d’une redevance liée à la mise en place de celui-ci. Cela implique donc que l’on affecte à l’avance des recettes futures. Les politiques sont très frileux à ce sujet. Nous devons sortir de cette dichotomie Public-Privé très franco-française.
Cela peut également permettre de faire intervenir de nouveaux acteurs, notamment au niveau des municipalités et notamment des entités citoyennes. Sur de petits projets, on peut imaginer que la plateforme dont nous parlions puisse être ouverte à des initiatives de crowdfunding par exemple ou bien à des synergies entre différents projets qui pourraient s’agréger. Des agrégateurs de projets pourraient voir le jour, mettant en place soit une agrégation financière par le haut permettant le financement de projets semblables, soit une agrégation par le bas, en standardisant les opérations, autorisant ainsi à les additionner. Cette notion d’agrégateur sera essentielle pour réaliser des financements conjoints, car une grosse opération peut être la somme de petites opérations de mêmes caractéristiques.