Par Christophe ROUILLON (PS), maire de Coulaines (Sarthe), membre du Comité européen des Régions, Vice-Président de l’Association des Maires de France chargé de l’Europe
Il reste peu de temps à “l’Europe” pour aboutir à des résultats concrets avant la campagne des élections européennes qui s’annoncent à haut risque.
La constitution en Italie, dans un des pays pilier de la zone euro, d’un gouvernement rassemblant les partis populistes et euro sceptiques de la Liga de Matteo Salvini et du Mouvement 5 étoiles de Luigi Di Maio montre à quel point notre monnaie commune est menacée.
La réforme de l’Union économique et monétaire (UEM) n’est pas seulement un enjeu franco-allemand.
Elle doit restaurer la confiance des citoyens dans une monnaie au service de l’économie et de la prospérité pour tous, relancer l’investissement des 100.000 communes et régions d’Europe, et instaurer des mécanismes de gouvernance démocratique de l’eurozone.
Le prochain Conseil européen des 28 et 29 juin consacré à la réforme de l’UEM sera pour cela un moment de vérité.
Malgré des prévisions économiques d’apparence favorable présentées par la Commission européenne le 3 mai dernier, l’hétérogénéité économique entre les pays européens subsiste dans un climat mondial incertain.
La Commission prévoit qu’après une croissance moyenne de la zone euro de 2,4 % du PIB en 2017, son niveau le plus élevé depuis dix ans, l’expansion économique devrait se poursuivre en 2018 et probablement atteindre 2,0 % du PIB ; que plus aucun pays de l’Eurozone ne devrait avoir un déficit public supérieur à 3 % du PIB ; que le chômage, estimé à 7,6 % de la population active en 2017, est à son plus bas niveau depuis dix ans et devrait baisser à hauteur de 7,1 % en 2018 et de 6,7 % en 2019.
Pour autant, les bons chiffres macroéconomiques cachent une hétérogénéité toujours persistante entre les pays européens : la dette publique varie de 177,8 % du PIB en Grèce à 8,8% en Estonie, les taux de chômage en Grèce et en Espagne atteignent respectivement 20,1 % et 15,3 % tandis que l’Allemagne et les Pays-Bas sont en situation de plein emploi avec des taux respectifs de 3,6 % et de 3,8 %.
Le système bancaire italien n’est toujours pas assaini, les écarts de richesses entre le Nord et le Sud se creusent, la BCE est dans l’impossibilité d’atteindre, malgré le volontarisme salutaire de “Super Mario”, sa cible vertueuse de 2% d’inflation.
Au niveau mondial, les fragilités du système financier subsistent, notamment en Chine et aux États-Unis. Le retour du protectionnisme, de l’unilatéralisme et la croissance vertigineuse d’une dette publique et privée atteignant pour la première fois 164 000 milliards de dollars – soit 225 % du produit intérieur brut mondial – menacent sérieusement les perspectives de croissance à moyen terme.
En réalité, le retour de la croissance en Europe prend appui sur une économie mondiale dopée à la création monétaire et sur une financiarisation accrue, plutôt que sur une politique européenne coordonnée et axée sur la relance de l’économie réelle.
Les statistiques d’Eurostat mettent aussi à jour le sous- ou même le désinvestissement public à l’échelle européenne – qui a diminué de 0,7% entre en 2008 et 2016.
La situation de la zone euro reste déflagratoire. Pourtant, en arrière-fond du match Macron-Merkel, la torpeur semble l‘emporter et aucune dynamique de réforme ne se profile à l’horizon.
L’Euro a survécu difficilement à un premier infarctus après la crise de 2008. Pour prévenir un second bien plus grave, il faut au plus vite mettre en commun des moyens financiers suffisants pour prévenir un nouveau choc économique systémique. Sinon les contribuables devront débourser dix fois plus pour payer l’addition d’une intervention massive de dernière minute.
Les propositions mises sur la table par la Commission européenne le 2 mai dernier dans le contexte du prochain budget à long terme de l’Union européenne sont bien trop frileuses au regard des enjeux vitaux pour l’Europe.
La Commission s’en tient à proposer un soutien sous forme de prêts garantis par le budget européen à hauteur de seulement 30 milliards d’euros. En comparaison avec les 1000 milliards de dollars que les Etats-Unis avaient su mobiliser en 2008 au début de la crise, un tel montant produirait au mieux un effet placebo.
La Commission propose par ailleurs un instrument de soutien aux “réformes structurelles” doté d’une enveloppe de 25 milliards d’euros. Or, à budget total de l’Union européenne plus ou moins constant, cet instrument rogne d’autant les marges de la politique de cohésion territoriale visant à encourager, dans la durée, les transitions écologiques, industrielles et sociales portées par les collectivités territoriales. Qui plus est, cet instrument porterait sur des “réformes structurelles”, c’est-à-dire un “concept valise”, dont le périmètre, la valeur ajoutée européenne et l’impact économique recherché ne sont pas définis.
Au Comité européen des Régions, nous plaidons pour la mise en place d’un véritable Fonds de secours, appelé par la Commission Fonds monétaire européen, à hauteur de 100 milliards d’euros capable de surmonter les chocs économiques asymétriques qui frapperaient certains États membres.
Ce fonds de secours doit s’accompagner d’une politique de cohésion accessible à l’ensemble des collectivités territoriales européennes et dotée, après 2020, de moyens au moins équivalents à ceux prévus dans l’actuelle période de programmation. Les communes et les régions d’Europe demandent aussi que les investissements européens au niveau des collectivités territoriales ne soient plus intégrés dans le calcul des déficits étatiques.
Évitons qu’une approche trop comptable du débat sur le futur de l’Union économique et monétaire occulte le degré d’urgence à mettre en place une vraie résistance de la monnaie européenne et à créer les conditions d’une croissance durable et long terme.