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Un phénomène en voie d’élargissement : l’adaptation des entreprises au changement climatique

Mme Claire TUTENUIT, Déléguée générale de l’association « Les entreprises pour l’environnement »


Les conséquences du changement climatique sont aujourd’hui bien visibles dans le monde : changement des précipitations et des régimes hydriques, périodes d’extrêmes climatiques plus longues, décalage des saisons, montée du niveau des océans, désertification, etc. L’origine anthropique de celui-ci ne fait plus débat, et les gouvernements du monde entier se réunissent en décembre à Paris pour trouver un accord permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre sans compromettre la croissance attendue par leurs populations.

Le 5ème rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) indique les conséquences probables de différentes trajectoires d’émissions ; seules les trajectoires conduisant à diviser les émissions actuelles par 3 d’ici 2050 et à des émissions nettes nulles avant la fin du siècle permettent de conserver 50% de chances de limiter le réchauffement global moyen en deçà de 2°C, par rapport au début de l’ère industrielle. Or, cette limite a été fixée par les gouvernements en 2009 à Copenhague car ils ont jugé qu’au-delà, les impacts du dérèglement climatique seraient dramatiques pour de nombreuses populations dans tous les pays. On s’en persuade aisément en réalisant que le réchauffement actuel moyen n’est que de 0,8°C, avec des effets déjà significatifs.
Même si un accord international ambitieux est atteint en 2015 à Paris, la réduction des émissions de gaz à effet de serre n’aura d’effet que vingt à trente ans plus tard. Nous devrons donc de toutes façons nous adapter à un réchauffement de l’ordre de +2°C.

L’ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE

La difficulté particulière à cette adaptation est que les conséquences régionales et locales de ce changement, même à un horizon de 20 ans familier aux entreprises, sont très incertaines. A quoi faut-il s’adapter ? Quel sera le climat sur un territoire donné ? Comment vont être affectés les ressources en eau, les régimes de précipitations, la végétation, les puits de carbone que sont les forêts et les océans, les zones d’extension des maladies ? Les modèles sont de plus en plus performants, mais les climatologues ne sont pas encore en mesure de nous indiquer ce que sera localement le climat à 10, 50 ou a fortiori 100 ans. Deux éléments sont très probables : la hausse des températures et la violence accrue des événements climatiques.

Les entreprises, comme les pouvoirs publics, se préoccupent de s’y adapter.

POURQUOI LES ENTREPRISES SONT ELLES AUSSI CONCERNÉES ?

Les entreprises membres d’EpE ont bien compris cet enjeu et entrepris l’analyse des implications de ce réchauffement pour leurs activités.

Le dérèglement climatique aura à l’évidence des conséquences significatives sur de nombreux secteurs : infrastructures, approvisionnement en énergie ou en eau, agriculture, villes et bâtiments… Il imposera des modifications profondes des comportements des populations, et provoquera des migrations importantes suivant les événements climatiques extrêmes, tempêtes, inondations ou sécheresses, montée des océans. Une adaptation réussie pourrait être définie comme évitant ces catastrophes et déplacements massifs de population.

La canicule de l’été 2015 a montré un début d’adaptation, à partir de l’expérience de 2003 : elle a été beaucoup moins meurtrière, du fait des précautions prises dans les hôpitaux, maisons de retraite publics et privés qui se sont dotées de capacité de rafraichissement, grâce aussi aux campagnes de sensibilisation de la population sur les précautions à prendre. Bien entendu, l’adaptation à venir devra aller plus loin.

ENTREPRISES ET EAU

La gestion des changements et la maîtrise des risques sont des activités familières aux entreprises, mais le changement climatique est un défi nouveau du fait de l’incertitude sur les échéances et l’ampleur des changements à prévoir.

La première conséquence du réchauffement devrait être des sécheresses répétées comme on en a vu ces dernières années en Californie, en Afrique, en Europe Centrale. Les entreprises qui dépendent de la ressource en eau pour leur activité, au premier rang desquelles l’agriculture, ont commencé à s’adapter :

  • Les agriculteurs adaptent leurs pratiques : ils sèment moins de maïs et plus de blé ou orge, cultures résistant mieux à la sécheresse ; les semences évoluent pour devenir plus résistantes à la sécheresse
  • Les systèmes d’irrigation s’améliorent ;
  • Les infrastructures de transport, notamment les voies ferrées, sont redimensionnées ;
  • Les autres entreprises savent que, face à des conflits d’usage rendus plus fréquents, les populations et l’agriculture ont priorité pour l’usage de l’eau ; nombre d’entre elles se sont mises en capacité de ne pas dépendre des réseaux et fonctionnent largement en circuit fermé.

 

A plus long terme, il s’agit d’accroître la ressource en eau là où elle n’est pas suffisante du fait de la sécheresse. Les entreprises développent et construisent de plus en plus d’usines de dessalement d’eau de mer pour assurer l’approvisionnement en eau, comme en témoigne le cas de Barcelone, proche de nous. En revanche, le dessalement est très consommateur d’énergie, et à moins de l’assurer par des énergies renouvelables comme le photovoltaïque, ceci va dans le sens de l’accroissement des émissions, aggravant le problème dont on cherche à se prémunir.

Ailleurs, le recyclage des eaux traitées apporte une solution pour les eaux urbaines et non seulement industrielles. Veolia a de telles réalisations en Australie, Suez en Californie ou au Moyen-Orient.

Cet exemple de l’eau montre que pour les entreprises le changement climatique est porteur de risques autant que d’opportunités : la pénurie d’eau douce est un risque, la construction et l’exploitation de l’usine est une opportunité.

UNE NOUVELLE FAÇON DE CONSTRUIRE ?

Au-delà de l’eau, l’adaptation au changement climatique est porteuse d’opportunités pour certains secteurs, notamment dans le secteur de la construction et des travaux publics car nombre d’infrastructures doivent être redimensionnées, voire reconstruites préventivement : villes après des inondations, digues, routes qu’il faut déplacer pour suivre l’évolution du trait de côte,…

  • La Chine a ainsi décidé de localiser ses nouveaux développements urbains loin des côtes, et la construction est donc très active dans ces nouvelles villes.
  • l’Indonésie construit une digue de 37 km de long pour protéger Jakarta.
  • plus près de nous la barrière de la Tamise a été un chantier considérable.

 

Même si les pouvoirs publics sont les maîtres d’ouvrage de l’aménagement du territoire, les entreprises de tous les pays voient dans l’adaptation de nouvelles activités d’envergure. Les constructeurs comme Vinci travaillent à des formes urbaines nouvelles permettant d’éviter les îlots de chaleur, de minimiser l’impact des canicules et de bien gérer les eaux pluviales.

PRODUCTION ET CONSOMMATION D’ÉLECTRICITÉ

La consommation d’électricité est accrue par les sécheresses et canicules, parce que la climatisation et de manière générale le refroidissement sont très consommateurs d’électricité.

La production d’électricité, à l’inverse, est affectée de deux façons par une sécheresse. D’une part bien sûr les rivières ont un débit moindre, et la production d’hydroélectricité est inférieure à la normale ; l’exception est l’électricité d’origine glaciaire (fonte des glaciers) qui est, elle, plus rapide en cas de réchauffement. L’autre conséquence, moins connue, est que le réchauffement des rivières réduit leur capacité de refroidissement, à débit constant, et encore plus si le débit est réduit. Les centrales thermiques, nucléaires en particulier, voient leur fonctionnement limité par la capacité de refroidissement de la rivière sur laquelle elles sont placées, notamment parce que la température de rejet dans la rivière est limitée pour protéger la biodiversité. Ces situations exigent une gestion particulière par les producteurs d’électricité et par le gestionnaire du réseau. L’exemple de l’été 2015 a montré que l’équilibre électrique du réseau pouvait être instable ; ceci demande une gestion vigilante par l’exploitant et mobilise sa capacité d’anticipation, sauf à créer des coupures de courant.

Plusieurs des exemples ci-dessus montrent que le dialogue entre entreprises et collectivités publiques est la clé d’une bonne adaptation. Dès lors qu’il s’agit de dimensionner des infrastructures différemment de ce qui était possible dans le passé, ce dialogue est indispensable. Lorsqu’il s’agit de réagir à des événements violents, la coordination est encore plus indispensable.

LES ASSURANCES

Le secteur de l’assurance est dans une situation particulière : le changement climatique accroît le nombre de sinistres de façon déjà significative : inondations, incendies, sécheresses entraînant des mouvements de terrain et pertes de récoltes croissent déjà, et leur coût également. Même si le changement climatique est désormais certain, les événements climatiques individuels ne sont pas prévisibles et restent donc à couvrir par les sociétés d’assurance.

Les primes n’ont pas encore répercuté l’accroissement de la fréquence et du coût des sinistres, couverts par les réassureurs pour les sinistres les plus coûteux. Une étude récente a toutefois montré que les réassureurs devraient doubler leurs tarifs si la fréquence et la gravité des sinistres des dix dernières années devaient devenir la nouvelle norme.

LE COÛT DE L’INACTION

Ces mesures seront coûteuses, bien sûr. Si un chiffrage précis semble impossible à cette heure, l’ensemble des études macroscopiques conclut à un coût de l’inaction supérieur au coût de l’adaptation.

Dans un scénario où aucune action ne serait prise pour adapter de manière planifiée et adéquate les infrastructures de l’ensemble des pays, les analyses économiques montrent que le surcoût pour les économies mondiales dû aux impacts du changement climatique représenterait de l’ordre de 10 % du PIB mondial par an, avec une forte disparité entre les pays développés et les pays en développement, ces derniers étant bien plus vulnérables. Dans un scénario d’adaptation mondiale au changement climatique, le surcoût d’investissement serait seulement de l’ordre de 1 % du PIB mondial par an (Stern Review, 2006).

Au niveau macroéconomique, le choix de l’adaptation paraît donc une évidence.

L’IMPOSSIBLE ADDITION

Chiffrer les coûts d’investissement et de fonctionnement résultant de la mise en œuvre de stratégies d’adaptation est un exercice périlleux : les mesures d’adaptation nécessaires sont très nombreuses, concernent de très nombreux secteurs et les choix d’adaptation possibles sont multiples avec des coûts et une efficacité très variables. La Convention Cadre des Nations Unies contre le Changement Climatique aboutit à une évaluation du coût des mesures d’adaptation entre 44 et 166 milliards de dollars par an, dans le monde. Le Programme des Nations Unies pour le Développement et la Banque Mondiale ont chiffré le coût de ces mesures entre 4 et 100 milliards de dollars par an dans les pays en voie de développement.

COMMENT LES ENTREPRISES RÉPONDENT-ELLES À CE DÉFI ?

Nombre d’entreprises, notamment au sein d’Entreprises pour l’Environnement, ont choisi de s’adapter à la fois au climat d’aujourd’hui et à ses évolutions futures, afin d’être plus résilientes et performantes à l’avenir. On voit ainsi émerger de nouvelles pratiques de dimensionnement des infrastructures, d’analyse des risques, ou d’anticipation de marchés, dans une démarche d’apprentissage et d’amélioration continus. Certains bailleurs internationaux du secteur privé tels que l’International Finance Corporation analysent leurs investissements à long terme à travers le prisme de l’adaptation au changement climatique. La Banque européenne d’investissement est également engagée dans un processus similaire concernant l’attribution de financements.

EN CONCLUSION

Il est vraisemblable que les mesures d’adaptation seront prises au fur et à mesure que les événements climatiques et crises en montreront la nécessité au grand public, un peu trop tard donc. La question encore ouverte est celle de l’anticipation. Une infrastructure adaptée à des événements climatiques extrêmes peut être plus coûteuse : climatisée, éventuellement surdimensionnée pour résister à des tempêtes, localisée autrement… Si les collectivités n’intègrent pas l’adaptation dans leurs cahiers des charges, les propositions que les entreprises feront aux pouvoirs publics en ce sens seront-elles retenues, ou au contraire les acteurs attendront-ils qu’une crise survienne pour décider de changer les façons de construire de telles infrastructures ?

La clé est bien dans le dialogue entre acteurs privés et publics, et avec la communauté scientifique. Le Plan National d’Adaptation au dérèglement climatique a pour principale fonction de déclencher ce dialogue à l’occasion de toutes les décisions de long terme des pouvoirs publics de façon à obtenir la société la mieux adaptée pour le moindre coût possible.

EXEMPLES D’ADAPTATION EN ENTREPRISES

VINCI se positionne comme acteur central pour créer ou renforcer les structures face aux événements climatiques majeurs, assurer leur durabilité et innover pour réaliser ces projets. D’importants travaux de recherche sont menés, tant en interne dans le groupe qu’avec ses partenaires scientifiques. Ces travaux portent sur l’adaptation des quartiers aux périodes de canicule, les îlots de chaleur urbains ou encore la résilience de la ville.

En ce qui concerne l’adaptation, VINCI est en capacité de proposer des bâtiments et quartiers présentant une empreinte environnementale faible et un confort thermique satisfaisant en été selon des scénarios d’évolution du climat. Ces scénarios, définis en accord avec les maîtres d’ouvrages, prennent en compte les évolutions probables dues au changement climatique. Ainsi, un projet dans le centre de la France a pu être conçu pour fournir un confort thermique l’été selon un fichier météo d’une année moyenne de 2050 selon les scénarios du GIEC.

 

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