Deux cultures, traditions et perceptions si proches et si différentes en même temps
S.E. Alexandre Orlov a été nommé, le 14 octobre 2008, par Décret du Président de la Fédération de Russie, Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire de Russie en France. Par Décret du 1er décembre 2008, il est également Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire de Russie auprès de la Principauté de Monaco (avec résidence à Paris).
La France à toujours été et demeure, l’un des principaux partenaires européens de la Russie. (source : www.france.mid.ru). Pouvez-vous justement évoquer, de manière générique, l’histoire pluriséculaire de ces relations privilégiées ?
Effectivement, nos pays ont derrière eux une histoire commune pluriséculaire, je dirais même millénaire, car elle débute au milieu du XIe siècle, quand la fille de Yaroslav le Sage, la princesse Anne, épousa Henri I, devenant la reine et, après la mort de son époux, la régente de France auprès de son fils Philippe I. Il a fallu pourtant attendre presque sept siècles pour que cette histoire d’amour russo-française connaisse son prolongement après la visite en France de Pierre le Grand en 1717. Depuis ce temps-là, on observe entre les Russes et les Français une extraordinaire affinité spirituelle et culturelle. Presque deux siècles durant, jusqu’à la révolution de 1917, le français a été la langue parlée par la noblesse russe. Il suffit de rappeler que le bilinguisme parfait du grand poète Alexandre Pouchkine lui a valu parmi ses copains de classe le surnom de « Français ». Et dans le roman « Guerre et paix » de Léon Tolstoï, des pages entières sont écrites en français.
Certes, cette histoire a connu des hauts et des bas, comme par exemple la Guerre de 1812 ou la guerre de Crimée de 1853-1856. Mais jamais la rivalité ou la confrontation politique entre nos États n’a su effacer cette attirance, cette sympathie mutuelle entre nos peuples. Les Russes et les Français se sont battus côte à côte lors des deux guerres mondiales et de nombreux monuments en Russie et en France témoignent à quel point cette fraternité d’armes est vénérée et chère à notre mémoire collective. La commémoration du centenaire de la première guerre mondiale l’année prochaine sera une belle occasion de nous souvenir des pages glorieuses de notre passé commun.
Aujourd’hui, « les relations politiques russo-françaises se distinguent par leur densité et leur atmosphère de confiance mutuelle ». Le Président de la République Française, François Hollande a d’ailleurs effectué, les 27 et 28 février 2013, un déplacement officiel à Moscou. Comment, à travers ces échanges, se développent de plus en plus des partenariats entre les entreprises, les universités, les collectivités locales, les administrations, etc., russes et françaises ?
La France reste aujourd’hui un partenaire privilégié de la Russie en Europe, et ceci en dépit des sujets sensibles de la politique internationale qui peuvent parfois nous diviser. Les échanges politiques restent dynamiques, ce qui ne peut que contribuer au développement de la coopération économique, financière, commerciale et industrielle tous azimuts. Des projets communs sont tellement nombreux que les énumérer tous pourraient prendre beaucoup de temps. Le dernier en date et aussi l’un des plus médiatisés est la mise à l’eau du premier BPC (Bâtiment de Projection et de Commandement) « Mistral », dénommé « Vladivostok » et construit en France pour la marine russe. Mais on peut aussi évoquer le succès de l’avion moyen-courrier « Soukhoï SuperJet 100 », le projet emblématique de lancement des Soyouz de Kourou, ou les excellents résultats réalisés en Russie par Renault-Nissan et Peugeot-Citroën, et cette liste des réussites industrielles et technologiques n’est pas exhaustive.
Vous avez à juste titre évoqué la visite officielle du Président français en Fédération de Russie fin février 2013, qui a donné lieu aux échanges utiles entre nos Présidents. D’autant plus que pour François Hollande, c’était la Première rencontre avec la Russie. Il faut citer également la récente visite en Russie de l’ancien Premier ministre Jean Marc Ayrault, qui a présidé avec son homologue Dmitri Medvedev le 1er novembre dernier à Moscou le séminaire intergouvernemental. Ce forum, qui se réunit à tour de rôle à Moscou ou à Paris depuis 18 ans, est destiné à évaluer l’état de notre coopération, à stimuler sur le plan politique les projets les plus importants. Aujourd’hui, il serait difficile de citer un seul secteur d’économie où les entreprises russes et françaises ne coopèrent pas. Pourtant, ces dernières années, l’accent particulier est mis sur les technologies de pointe qui sont le gage de compétitivité de nos économies respectives dans le monde moderne.
À cet égard, je peux vous dire que la dernière session du séminaire intergouvernemental a donné lieu à la signature d’une dizaine d’accords bilatéraux portant sur la coopération dans les domaines aussi variés que l’investissement, l’efficacité énergétique, l’agroalimentaire, la recherche appliquée, les télécommunications, l’industrie de défense, la création des pôles de compétitivité ou bien la gastronomie.
« En 2010, conformément à l’accord conclu, s’est déroulée en Russie l’Année de la France, et en France l’Année de la Russie ». Quel bilan établissez-vous de ce type d’événement ?
L’Année France-Russie 2010 avait pour but prioritaire de donner à chacun des deux pays une idée plus moderne et plus complète de l’autre, de conférer une nouvelle impulsion aux initiatives de la jeunesse, ouvrir pour nos jeunes citoyens une possibilité du dialogue, d’une découverte de la langue, de la culture et des traditions des deux pays, créer pour les futurs générations des conditions favorables pour le développement à l’avenir des liens d’amitiés entre nos peuples. Le programme de l’Année croisée était extrêmement varié et riche en manifestations à caractère politique, économique, culturel, scientifique, éducatif et sportif et comportait plus de trois mille événements de tous les niveaux.
Dès le départ, la réalisation de ce projet ambitieux a connu un énorme succès. Plus de 5 millions de personnes ont participé aux initiatives organisées par la partie russe dans toute la France – de Paris à Nice, en passant par Strasbourg et Bordeaux. Tous les Français ont eu la possibilité d’approcher la richesse et la diversité de notre culture. Concentrés sur une courte période, les échanges intenses entre les représentants de l’élite politique, intellectuelle et artistique ainsi qu’entre les jeunes et les citoyens ordinaires des deux pays, de la Bretagne à Vladivostok, ont effectué une véritable « cure de rajeunissement » pour les relations entre la Russie et la France. Une telle interaction étroite et active entre deux cultures, traditions et perceptions si proches et si différentes en même temps a clairement montré que les idées de la Guerre froide avait fait long feu. Dans le monde contemporain, la Russie et la France ont beaucoup plus en commun qu’on ne l’imagine parfois.
Désormais, l’essentiel est de maintenir la dynamique positive de la coopération bilatérale, d’exploiter et développer le grand potentiel de la coopération qui s’est constitué dans plusieurs domaines grâce au succès de ce grand événement, ainsi que de réaliser des projets communs prévus pour l’avenir.
Par ailleurs, progressivement, se développe une des orientations prioritaires de la coopération bilatérale – la lutte contre les nouveaux dangers et menaces (terrorisme, criminalité organisée internationale, trafic de stupéfiants, délits financiers). Comment se réalise concrètement cette ambition ?
Le caractère prioritaire de la lutte commune contre les nouveaux dangers et menaces étant reconnu des deux cotés au plus haut niveau, des perspectives encourageantes s’ouvrent pour la coopération dans ce domaine.
Un nouveau format de travail des experts, des ministères et des services concernés a été mis en œuvre en 2013. Vu la nature transversale, la corrélation et l’interdépendance du terrorisme international, de la criminalité organisée transnationale, du trafic des stupéfiants, des crimes financiers et de la cyber-criminalité, ainsi que la volonté d’améliorer l’efficacité de la coopération bilatérale dans la lutte contre ces crimes, Moscou et Paris ont décidé de « réunir » des ministères et services intéressés en un seul Groupe de travail sur cette question.
La première rencontre du Groupe a eu lieu le 18 octobre 2013 à Moscou. Les experts concernés ont étudié sous tous les aspects les sphères, les formes et les méthodes concrètes de la coopération sur les plans stratégique et opérationnel. Ainsi, nous avons pu établir un dialogue direct entre les représentants des structures gouvernementales non-homologues. C’est très important car cela s’inscrit au-delà de la coopération habituelle limitée par leurs contacts avec leurs homologues.
La rencontre a montré l’utilité et l’efficacité de ce format, ainsi que l’intérêt commun d’approfondir le dialogue sur la lutte contre les nouvelles menaces sur le plan bilatéral, mais aussi dans le cadre des organisations internationales. Nous espérons que le nouveau format contribuera au renforcement des relations entre nos services en ce qui concerne les orientations où nous avons déjà des résultats tangibles (par exemple, la lutte contre le terrorisme, le trafic de drogue et la criminalité organisée), mais aussi qu’il permettra d’élargir la coopération en matière d’extradition, aidera à mettre en place un nouveau cadre juridique international pour combattre la cybercriminalité, contribuera au dialogue constructif au Premier Comité du Conseil de sécurité de l’ONU concernant les sanctions contre Al-Qaïda et les personnes ou entités qui y sont associées.
Enfin, en 2014, la Russie a organisé les XXIIe Jeux olympiques d’hiver à Sotchi (ville du sud-ouest située au bord de la mer noire). Quelle image souhaitez-vous que l’ensemble des nations qui participeront à cet événement retienne de ces Jeux ?
La Russie est fière d’accueillir les XXIIe Jeux olympiques et XIe Jeux paralympiques d’hiver à Sotchi en février 2014. Depuis la validation de la candidature russe par le CIO en 2007, notre pays a investi des ressources financières et humaines importantes dans la préparation des JO censés faire valoir et démontrer à la communauté internationale l’image réelle et positive de la nouvelle Russie en pleine modernisation. Ce grand événement sportif représente pour nous une occasion unique pour, non seulement, mettre en valeur l’attention particulière que l’État russe porte au développement du sport de haut niveau et de la culture physique dans le pays, mais aussi pour faire découvrir au public étranger le potentiel touristique des régions de Russie et, notamment du Caucase du Nord.
Dans des délais relativement courts, nous avons réussi à construire de nombreuses installations sportives ultramodernes, créer un vaste réseau d’infrastructures autour des sites olympiques pour assurer le maximum de confort et de sécurité aux participants et invités aux JO. Certes, ce riche héritage des JO sera ensuite utilisé pour d’autres rendez-vous sportifs à l’avenir, pour l’entraînement des athlètes russes et étrangers, ainsi que pour le développement du tourisme dans cette région de la Russie.
Nous espérons que l’aboutissement de ce projet pourra montrer à nos partenaires étrangers le grand potentiel économique et humain de notre pays, aidera à créer les conditions favorables pour améliorer le climat d’investissement et à renforcer son prestige sur l’arène internationale.