Monsieur Le Ministre, Quelle Est Votre Regard Sur La Place Des Pouvoirs Locaux, En Particulier Des Régions, Dans Le Fonctionnement Actuel Et L’avenir De L’Union Européenne ?
Jean-Yves Le Drian. Les collectivités territoriales ont toute leur place dans l’Union européenne, à travers le Comité des régions notamment, mais aussi grâce au rôle des parlements régionaux. Elles sont aussi une véritable force motrice pour l’Europe : grâce aux nombreuses réalisations des coopérations transfrontalières, l’Europe a pour nos concitoyens un visage concret et quotidien ; ils peuvent percevoir à travers elles tous les bénéfices de la construction européenne. Je pense à des initiatives très concrètes comme les parcs naturels transfrontaliers, celui des Vosges ou du Mercantour, ou les tramways transfrontaliers, de Strasbourg-Kehl par exemple qui a été inauguré cette année. Les collectivités territoriales frontalières ont parfaitement compris l’intérêt de dépasser le seul cadre national ; elles ont ainsi initié des groupements européens de collectivités territoriales, par exemple en 2008 l’eurométropole Lille-Courtrai-Tournai, la première du genre. Ce type de coopérations est essentiel pour les 360 000 citoyens français transfrontaliers qui se rendent chaque jour dans un pays voisin.
Par ailleurs, les régions sont des acteurs de premier plan pour relever les défis globaux auxquels l’Europe est confrontée. Je pense par exemple à la lutte contre le réchauffement climatique : il revient aux collectivités locales de mettre en œuvre sur le terrain les objectifs que l’Europe s’est fixée.
Enfin, il ne faut pas oublier que ce sont les régions qui gèrent les fonds communautaires versés au titre de la cohésion. Cela représente une enveloppe de près de 28 milliards d’euros pour la période 2014-2020, principalement dédiée à des projets de cohésion économique, sociale et territoriale, ainsi qu’au développement rural.
Mais il faut aussi avoir une approche pragmatique. La disparité des moyens et des compétences des autorités locales à travers l’Europe rend parfois difficile l’expression de positions communes. De ce point de vue, les regroupements sur la base d’intérêts partagés sont un instrument efficace, comme le fait par exemple la Conférence des Régions périphériques maritimes, dont la Bretagne est un membre fondateur.
En 2015, Vous Aviez Identifié Six Priorités Majeures Pour La Bretagne, Dont La Réussite De La Transition Énergétique Et Écologique. Quel Regard Portez-Vous Sur Ce Sujet Et L’Europe Peut-Elle Être Un Partenaire Pour Aider Les Territoires Dans Cette Évolution ?
JYLD. C’est évidemment un des grands défis du XXIème siècle, tant pour la Bretagne que pour la France et l’Europe. L’enjeu est planétaire, c’est pourquoi il est crucial de parvenir à des objectifs partagés au niveau mondial. A défaut, les efforts des uns seraient rendus vains par l’inaction des autres. La Conférence de Paris a permis de forger les grandes lignes d’un consensus inédit, mais il faudra faire preuve de vigilance pour que les engagements des uns et des autres soient respectés. La partie est loin d’être gagnée, et l’Europe devra montrer l’exemple. En Europe, comme je l’ai déjà dit, ce sont notamment les autorités locales qui vont traduire en acte ces engagements. L’Union européenne est un partenaire essentiel pour cela, en particulier via les fonds structurels qui soutiennent déjà les investissements en faveur d’une économie décarbonnée partout dans nos territoires. Elle devra le faire encore davantage à l’avenir.
Vous Avez Également Initié Un Certain Nombre De Projets Pour Appuyer Le Développement Économique Et Social De La Région Bretagne, Dont Le Renforcement De La Filière Défense Et Sécurité. En Quoi Le Pôle Cyber Est-Il Si Exceptionnel ?
JYLD. Effectivement la cyberdéfense et la cybersécurité sont des enjeux majeurs dans un monde toujours plus connecté. Je pense aux capacités d’espionnage, de paralysie de systèmes essentiels pour la vie économique et sociale, ou même de destruction. Plus personne n’en doute, sans que tout le monde n’ait encore saisi l’ampleur des efforts indispensables pour anticiper et prévenir les menaces dans ce domaine. Ma conviction est que la menace a changé d’échelle depuis deux ou trois ans. La France doit être en pointe sur le sujet. Le Pôle d’excellence cyber situé en Bretagne est, à ma connaissance, le premier en Europe à combiner tous les éléments clefs de la réussite : réunir les acteurs publics et privés, militaires et civils, en alliant formation, recherche et industrialisation. Le pôle travaille bien sûr avec d’autres partenaires à travers l’Europe, mais il a vocation à devenir l’un des centres névralgiques du réseau de cyberprotection européen.
Le Développement De L’économie Maritime Constitue Un Autre Enjeu Majeur. Comment Se Situent La France Et La Bretagne, Dans Ce Secteur ?
JYLD. Je suis en effet convaincu que la mer jouera un rôle déterminant dans l’avenir de notre pays, et que la Bretagne peut y contribuer. Ce qu’on appelle la croissance bleue est un fait que personne ne peut ignorer car la mondialisation des échanges implique une maritimisation accrue de l’économie mondiale.
Or, la France est une puissance maritime de premier plan ; elle a donc des atouts majeurs à faire valoir dans ce domaine : je pense d’abord à l’étendue de ses espaces maritimes dans chacun des océans du globe, à la présence de ses flottes, à son industrie navale, ou encore à ses capacités de recherche. De la pêche aux énergies renouvelables, de la construction navale au tourisme, de la culture d’algues à la course au large, les opportunités sont infinies.
La région Bretagne est la première région maritime de France. Et pourtant, comme pour le reste de la France, la mer est encore bien loin de représenter ce qu’elle devrait être dans notre modèle de développement. Nous devons donc intensifier nos efforts : dans la recherche avec IFREMER au premier plan, dans le développement des énergies marines sur notre territoire, dans le renouvellement de la flotte de pêche pour limiter la facture énergétique des navires et donner du travail aux chantiers, dans la compétitivité de notre pavillon, dans nos ports.
En Bretagne, le développement maritime fait l’unanimité et je ne doute pas que notre pays tout entier puisse partager une telle ambition pour la France ; elle confirmerait la vocation économique de notre littoral, en métropole comme dans les territoires d’outre-mer.
L’actualité Européenne Reste Dominée Par Le Brexit. Comment Analysez-Vous L’impact De Cet Événement Pour L’Europe Et Pour La France ?
JYLD. Nous respectons la décision souveraine du Royaume-Uni de se retirer de l’Union européenne, même si nous la regrettons. Elle a ouvert une période de doute pour les citoyens comme pour les entreprises. Il est de notre intérêt collectif de mettre fin dans les meilleurs délais à cette incertitude, d’abord en négociant les conditions du retrait puis en instaurant dès que possible le cadre juridique de nos futures relations. En revanche, je ne peux pas aller dans votre sens et estimer que le Brexit « domine » l’actualité européenne : il s’agit évidemment d’un enjeu majeur, auquel nous accordons toute l’attention qu’il mérite. Mais il ne saurait justifier que le travail européen sur les autres sujets s’arrête ou même ralentisse. C’est tout le contraire : l’élection du Président Macron, chacun le reconnaît, a marqué un tournant, un renversement de tendance : désormais une majorité de Français est prête à se mobiliser à nouveau autour du projet européen, pourvu qu’ils s’y reconnaissent et que ce projet réponde aux aspirations de nos concitoyens ; et à l’étranger ce mouvement est salué par tous nos partenaires, croyez-moi ! Nous veillerons sur l’espoir qui est ainsi revenu ; nous avons ces derniers mois fait des avancées majeures, je pense par exemple à l’Europe de la Défense. Nous devons également consacrer notre énergie à construire l’Europe à 27, et le Président de la République fera après les élections allemandes des propositions importantes en ce sens.