Après près de 44 jours de guerre au Karabakh qui démarrèrent le 27 septembre 2020, l’accord tripartite sous égide russe signé le 10 novembre 2020 conduisit à l’arrête définitif des hostilités entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Mais surtout à la fin de l’occupation arménienne de ce territoire pris par l’armée pro-arménienne et le soutien d’Erevan depuis 1991. Depuis, la paix se construit en dépit des difficultés.
Si la reconstruction est en cours afin de permettre notamment de sécuriser le territoire, aux réfugiés azéris de revenir sur leur terre, aux infrastructures de se développer, de nombreuses questions restent en suspens et irrésolues. Que ce soit la question des mines qui tapissent encore tout le sol de la zone libérée de l’Azerbaïdjan, celle de la restauration du patrimoine détruit ou à préserver, la situation économique extrêmement difficile des réfugiés azéris, un problème majeur perdure qui empêche toute reconstruction durable, solide, et saine de la paix : la poursuite des activités illégales arméniennes au Karabakh qui risquent rapidement de comprendre l’atmosphère de coexistence et de réconciliation.
Cela fait plus d’un an que le territoire a été repris par l’Azerbaïdjan et les difficultés sont nombreuses sur le terrain avant de permettre aux gens de revenir en toute sécurité chez eux. Mais la politique menée par l’Arménie, derrière un certain nombre d’organisations non gouvernementales, soutenues par la diaspora arménienne de par leur monde, n’aide en rien et est bien éloignée du but original et humain pour lequel l’argent a été levé. Que des associations humanitaires locales viennent en aide aux populations arméniennes restées dans une partie du Karabakh, pourquoi pas. Mais que le gouvernement détourne l’argent collecté à des fins militaires au nom de la loi martiale, cela est non seulement inacceptable, mais surtout illégal.
Alors de quoi parle-t-on exactement ? Un collectif d’ONG, qui opèrent depuis divers pays de par le monde, s’est chargé depuis l’accord de paix, de collecter des fonds, que l’on peut associer à des œuvres de charité et humanitaires. C’est l’association arménienne basée aux États-Unis, Hayastan Ali Armenien Fund, qui s’est chargée de coordonner les opération de levée de fonds. On parle là de près de 110 millions de dollars levés pendant la guerre avec l’Azerbaïdjan depuis un an et demi, et pour lesquels même le Premier Ministre et le Ministre des Finances arméniens, ont reconnu récemment que plus de la moitié, soit 52 millions de dollars, avaient été alloués au budget général du pays, selon la loi martiale (« effort de guerre »), sans que personne n’analyse la provenance de l’argent, entraînant de sérieux risques de corruption, de blanchiment, voire de financement du terrorisme. Pachinian trouvait un moyen curieux de se justifier en déclarant le 22 avril 2021 que « les 52 millions utilisés dans le cadre de la loi martiale, représentaient moins de 50% du total collecté par le fond »[1].
Disposant de seize branches dans différents pays du monde, elle a plusieurs fois été pointée du doigt pour des faits de corruption depuis plusieurs années. Une procédure judiciaire au pénal est en cours en Arménie, contre Ara Vardanyan, l’ancien directeur exécutif du Fonds, pour détournement, mais également contre des centaines d’intermédiaires ou collaborateurs [2]. Un premier officiel arménien, Avetik Harutunyunan, est également mis en examen dans la même affaire[3]. Un article du site News.am expliquait le 27 avril 2021 : « L’autre accusé dans le cadre de l’affaire est Avetik Harutyunyan, qui est inculpé dans le cadre de l’affaire selon laquelle, à compter du 22 mars 2004, il a été directeur d’une société gérant à 100 % le Hayastan All-Armenian Fund créé par l’Arménie, et qui malgré sa qualité de fonctionnaire, a commis une fraude officielle et a aidé Ara Vardanyan à détourner des montants particulièrement importants. » Pire, fin décembre 2020, l’ancien Président arménien Armen Sarkissian attendait toujours un rapport précis sur la manière dont les 110 millions de dollars collectés avaient été dépensés[4]. Depuis, toujours rien.
Pourtant, c’est toujours bien cette organisation qui a collecté l’argent post-conflit de 2020, sous la campagne « Nous sommes nos frontières, tous pour Artsakh ! ». Sur le site de la campagne[5], il est même précisé que l’ensemble des dons irait à des projets humanitaires. Le problème est que ces transferts directs au budget étatique contreviennent déjà aux statuts du Fonds, des statuts signés par le comité exécutif de l’organisation, où figurent les plus importantes figures politiques du pays, dont l’ancien Président Sarkissian et le Premier ministre Pachinian. On semble faire face à un système généralisé de corruption sans que personne semble déterminé à revenir en arrière.
L’on trouve dans ce fond, des partenaires du Fond présents dans plus de 16 pays : aux Etats-Unis, au Canada, en Argentine, aux Pays-Bas, en France, en Grèce, mais aussi au Brésil, en Belgique, en Allemagne, en Australie, en Autriche, au Royaume-Uni, au Portugal, en Suède et dans tant d’autres pays. Doit-on rappeler que la diaspora arménienne est une des plus importantes au monde, au prorata du nombre d’Arméniens sur la planète [6]? Il n y a pas de transferts illicites de capitaux sans concours des banques qui ont laissé passer sans demander non seulement leur provenance mais interroger sur leur ventilation. Des banques comme Deutsche Bank, HSBC, Chase Bank, semblent donc directement complices de la circulation opaque de plus de 110 millions de dollars. Qui a payé ? D’où vient l’argent ? De quelles actions est-il le fruit ? Pourquoi de l’argent d’ONG étrangères arrive-t-il sur le compte de l’Etat arménien pour financer des projets contre l’autre pays? Et de quel droit l’argent des ONG humanitaires est-il utilisé pour des besoins militaires ? De l’autre côté du spectre, les donateurs arméniens ont aussi été abusés sur ce que deviendrait leurs contribution.
Ces actions contreviennent non seulement à l’accord signé entre la Russie, l’Azerbaïdjan et l’Arménie, mais également à la législation internationale en matière de transparence financière. En effet, la convention tripartite signée le 10 novembre 2020 engage les parties sur une chose majeure : l’interdiction d’activités militaires quelles qu’elles soient sur le territoire concerné. Or, l’argent concerné parti dans le budget de l’État arménien est parti clairement au nom de la loi martiale (puisque précisé par les autorités) vers le soutien aux forces arméniennes qui ont combattu contre l’Azerbaïdjan sur le territoire de l’Azerbaïdjan. Pourtant, l’article 1 est clair :« Un cessez-le-feu complet et la fin de toutes les opérations militaires dans la zone de conflit du Haut-Karabakh entreront en vigueur le 10 novembre 2020 dès 00h00, heure de Moscou. La République d’Azerbaïdjan et la République d’Arménie conserveront leurs positions actuelles. » Idem pour l’article 4 : « Un centre de maintien de la paix pour le contrôle du cessez-le-feu est mis en place afin d’accroître l’efficacité de la surveillance du respect des accords par les parties au conflit. »
Du côté de la législation internationale, cela contrevient également aux Conventions Internationales pour la Suppression du Financement du Terrorisme, la Convention des Nations Unies contre la Corruption, ainsi que la Convention de l’ONU contre le Crime Transnational Organisé. Mais aussi les résolutions 1373, 2178, 2195, et 2347 du Conseil de Sécurité des Nations Unies[7]. L’ensemble de ces avoirs devrait être gelé afin de poursuivre les responsables. Il y a forcément eu corruption pour que les fonds humanitaires basculent dans le militaire arménien.
Aussi, le droit international et financier est censé être très strict sur le contrôle et la circulation d’argent, de son origine, et de sa destination qui pourraient concerner aussi bien le narcotrafic que le terrorisme. Une organisation humanitaire est une organisation humanitaire et doit non seulement justifier de l’origine de ses fonds mais également veiller à la bonne utilisation de ceux-ci et respecter le droit international. L’Arménie ne semble pas soucieuse de le faire et de rétrocéder ces capitaux.
Comment dans un contexte où l’État arménien détourne l’argent de l’humanitaire pour des fins militaires, l’Azerbaïdjan peut-il construire des routes sécurisées, et favoriser le retour de ses réfugiés comme le prévoit notamment l’article 6 de l’accord du 10 novembre 2020 avec toujours la chape de plomb militaire arménienne au-dessus de sa tête ? La paix n’est-elle pas dès lors remise en cause ? Et ce alors que les choses sont claires : « Les déplacés internes et les réfugiés retourneront sur le territoire du Haut-Karabagh et dans les régions adjacentes sous la supervision de l’Office du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. » Et alors que comme le précise l’article 4 « Un centre de maintien de la paix pour le contrôle du cessez-le-feu est mis en place afin d’accroître l’efficacité de la surveillance du respect des accords par les parties au conflit. » A quoi a pu bien servir cet argent ?
Il est donc urgent que les Nations unies, l’Union européenne, le Conseil de l’Europe et les institutions internationales financières, se saisissent au plus vite de la question pour faire toute la transparence sur l’origine de ses fonds , leur allocation afin de mettre les activités Hayastan All-Armenian Fund au plus vite en conformité avec le droit international. Car si une clause d’une convention internationale n’est pas respectée, c’est l’ensemble de celle-ci qui est en danger. Et le processus de paix comme la paix fragile encore à construire dans une région instable par la même occasion. Le Caucase doit écarter tout risque de regain de guerre ou même de trafic de drogue et de financement du terrorisme Et cet argent opaque pourrait bien en être un des rouages d’une nouvelle machine de guerre à venir si l’on ne perce pas l’abcès au plus vite.
[2]https://www.armencom.be/fr/actualite/presse/1649-head-of-special-investigative-service-says-inquiry-will-prove-whether-hayastan-all-armenian-fund-director-repaid-embezzled-millions
[3] https://news.am/eng/news/641091.html
[4] Comme l’explique le site d’informations arménien Asbarez ici https://asbarez.com/president-still-awaiting-government-report-on-100-million-hayastan-fund-donation/
[5] https://www.himnadram.org/en/home
[6] Il y a douze millions d’Arméniens dans le monde dont 9 en dehors de l’Arménie
[7] https://www.unodc.org/pdf/crime/terrorism/res_1373_french.pdf
Sébastien BOUSSOIS, Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l’OMAN (UQAM Montréal) et de SAVE BELGIUM (Society Against Violent Extremism)