Mettre en place un « Fonds pour une transition juste ». Frans Timmermans, Vice-Président exécutif en charge du Green Deal Européen, a répété à plusieurs reprises ces mots comme un mantra, cherchant à rassurer les eurodéputés sur la prise en charge des coûts induits par la transition énergétique pour les régions charbonnières, lors de son audition au Parlement européen, le 8 octobre dernier(1).
Et pour cause : la mort du charbon semble inéluctable, la nouvelle Présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, déclarant vouloir faire de l’Union européenne le « premier continent neutre en carbone d’ici à 2050 ». Le charbon est en effet responsable de plus d’un quart des émissions européennes de gaz à effet de serre(2). La technologie qui permettrait son utilisation accompagnée de captage et stockage du CO2 émis n’est pas envisagée à grande échelle.
Si l’on ne peut que saluer une telle ambition – le GIEC table désormais sur un réchauffement planétaire s’élevant jusqu’à 7°C de plus d’ici à 2100(3) -, les dommages économiques et sociaux collatéraux pour les régions minières au sein de l’UE pourraient s’avérer sévères. Le Président de la COP 24, Michal Kurtyka, secrétaire d’État auprès du Ministre de l’environnement polonais, ne s’y est pas trompé en soulignant les difficultés de surmonter la dépendance aux énergies fossiles, dans la Déclaration de Silésie sur la solidarité et la transition juste(4), signée par 48 Chefs d’Etat. En effet, mettre fin à l’industrie du charbon signifie supprimer près de 450 000 emplois directs dans toute l’Europe(5). La facture sera également salée : en Pologne par exemple, où le charbon représente encore 84% du mix énergétique national, le coût de la transition est estimé à 80 milliards d’euros d’ici à 2030, voire de 115 à 160 milliards d’euros(6) d’ici à 2050 pour « dé-carboner » tout le système énergétique et le secteur de l’industrie.
Anticiper et prendre en compte toutes les conséquences d’un tel changement est un enjeu crucial pour l’Union européenne. L’acceptabilité sociale et la reconversion économique des régions minières en dépendent. Quelle stratégie européenne adopter pour rendre juste cette transition énergétique, afin qu’elle ne soit pas « juste » une transition ?
Sortir du charbon : Un défi pan-européen
41 régions situées dans 12 États membres(8) possèdent encore des mines de charbon en activité. La Pologne est l’Etat membre qui compte le plus grand nombre de mines de charbon (35), suivi par l’Espagne (26), l’Allemagne et la Bulgarie (12 chacun)(9). En termes d’emplois directs, la Pologne compte 99 000 travailleurs, l’Allemagne 25 000, la République Tchèque 18 000, la Roumanie 15 000 et la Bulgarie 12 000(10). Sortir du charbon est donc un défi paneuropéen.
En outre, la grande majorité des régions charbonnières rencontrent d’ores et déjà des difficultés économiques. En effet, le taux de chômage y est beaucoup plus élevé qu’ailleurs. Dans la région de la Silésie, en Pologne, le taux de chômage des jeunes s’élève à 39%(13). En Grèce, dans la région de Macédoine occidentale qui dépend en majeure partie de l’activité minière, le taux de chômage global est de 29%(14). La faible diversification des activités économiques au sein des régions minières et l’âge moyen élevé des travailleurs du secteur du charbon compliquent la reconversion économique de ces territoires. De plus, la réticence à fermer les mines de charbon de la part de certains Etats et autorités régionales s’explique également par leur implication directe dans ce secteur. Si elles représentent de fait une source de revenus pour les régions, le gouvernement polonais est quant à lui propriétaire majoritaire de la plus grande entreprise charbonnière et actionnaire de la deuxième entreprise du pays(15).
Une stratégie européenne en premier lieu préventive
Afin d’étudier les voies permettant d’éviter une sortie du charbon trop brutale, la Commission européenne a mis en place fin 2017 la Plateforme pour les régions charbonnières en transition(16). Pilotée par la DG ENER(17), en collaboration avec la DG REGIO(18) et la DG RTD(19) ainsi qu’avec des groupes opérationnels sur les territoires, la plateforme accompagne notamment 13 régions pilotes situées dans sept États membres :
Elle vise à garantir une gouvernance multi-niveaux entre les différents acteurs impliqués dans la transition énergétique (autorités européennes, nationales, régionales, syndicats, industriels, ONG, etc.). L’objectif est de faciliter le développement de projets et de stratégies à long terme dans les régions charbonnières en mettant l’accent sur l’équité sociale, les diversifications énergétique et économique ainsi que la requalification. La plateforme offre aux régions charbonnières une expertise sur l’utilisation des fonds européens et la façon d’attirer davantage d’investissements privés. Il n’est ainsi pas question ici de se limiter à des mesures compensatoires pour les salariés une fois la mine fermée. Si la transition énergétique au sein des régions charbonnières pourrait créer environ 900 000 emplois d’ici à 2030(20) selon la Commission européenne, il est sans doute encore trop tôt pour évaluer l’efficacité de la plateforme et sa capacité à infléchir les décideurs politiques.
Le « Fonds européen de Transition énergétique Juste » : vers une stratégie incitative ?
La plateforme ne suffit toutefois pas à convaincre les trois derniers Etats membres réticents à s’engager en faveur de la neutralité carbone en 2050, à savoir la Pologne, la Hongrie et la République Tchèque. Leur accord est pourtant nécessaire pour adopter le Climate Pact souhaité par la nouvelle Commission dans les 100 premiers jours de sa mandature, afin d’entériner cet objectif au niveau européen. La création d’un nouveau fonds européen pour accompagner les régions charbonnières dans leur transition changera peut-être la donne(21), mais ses contours sont encore flous à l’heure actuelle. Günther Oettinger, le Commissaire européen sortant au Budget, a indiqué un montant allant de 8 à 12 milliards d’euros sur sept ans(22).
Le Ministre polonais de l’Énergie, Krzysztof Tchórzewski, a déclaré que la transition énergétique de la Pologne nécessiterait plus de 900 milliards d’euros, notamment pour arrêter ses centrales à charbon tout en augmentant sa capacité de production d’énergie renouvelable(23). Ces 900 milliards d’euros estimés ne viendront toutefois pas nécessairement de fonds publics : un cadre réglementaire attractif permettrait de drainer l’essentiel de cette somme sous forme d’investissements privés. A titre d’illustration, la mer Baltique détient un important potentiel de production éolienne offshore qui entraînerait la création de milliers d’emplois(24) (chaînes de montage, infrastructures portuaires, vaisseaux spécialisés, etc.). Afin d’attirer les investisseurs privés en Pologne, la DG COMP(25) pourrait assouplir les exigences sur les appels d’offres dans les pays dépendants du charbon, tandis que la Banque Européenne d’Investissement abonderait certains emprunts. Parallèlement, le gouvernement polonais devrait réussir à garantir un cadre réglementaire stable et une justice impartiale pour avoir la capacité de régler les litiges sans interférence politique. Un tel partage des tâches, qui ne concerne pas que la Pologne, gagnerait à se négocier dans un climat apaisé entre les gouvernements concernés et les institutions européennes. L’équilibre à trouver entre solidarité européenne et juste prix sera, sans aucun doute, un exercice délicat pour le nouvel exécutif européen.
Une seule chose est aujourd’hui certaine : autrefois symbole de la coopération européenne il y a plus de cinquante ans, le charbon met désormais à l’épreuve l’unité des 28 Etats membres pour réussir ce qui sera peut-être le défi mondial du 21ème siècle : limiter le réchauffement planétaire en deçà de 2 degrés.
CONFRONTATIONS EUROPE
Gabrielle Heyvaert,
chargée de mission Energie avec la collaboration de Michel Cruciani,
pilote du groupe Energie
- Hearing of Frans TIMMERMANS, Executive Vice-President-designate, European Green Deal, European Parliament
- International Energy Agency, CO2 Emissions from fuel combustion, 2018 (29 % en 2016)
- Jusqu’à + 7 °C en 2100 : les experts français du climat aggravent leurs projections sur le réchauffement, Le Monde, 17 septembre 2019
- Déclaration de Silésie sur la solidarité et la transition juste
- Alves Dias, P. et al., EU coal regions: opportunities and challenges ahead, EUR 29292 EN, Publications Office of the European Union, Luxembourg, 2018
- Polish Electricity Association (PKEE) report “The contribution of the Polish energy sector to the implementation of global climate policy”, December 2018.
- « Régions » au sens de la nomenclature européenne NUTS 2 : « régions de base pour l’application des politiques régionales »
- Allemagne, Bulgarie, Espagne, Grèce, Hongrie, Italie, Pologne, République Tchèque, Royaume-Uni, Roumanie, Slovaquie, Slovénie
- Ibid.
- Polish Electricity Association (PKEE) report “The contribution of the Polish energy sector to the implementation of global climate policy”, December 2018.
- Alves Dias, P. et al., EU coal regions: opportunities and challenges ahead, EUR 29292 EN, Publications Office of the European Union, Luxembourg, 2018
- Ibid.
- Anja Bierwirth et al., “Phasing-out Coal, Reinventing European Regions – An Analysis of EU Structural Funding in four European Coal Regions”, Wuppertal and Berlin: Wuppertal Institute for Climate, Environment and Energy, 2017.
- Données d’Eurostat
- Anja Bierwirth et al., “Phasing-out Coal, Reinventing European Regions – An Analysis of EU Structural Funding in four European Coal Regions”, Wuppertal and Berlin: Wuppertal Institute for Climate, Environment and Energy, 2017
- Page de la The platform for coal regions in transition, Commission européenne
- Direction Générale de l’Energie
- La direction générale de la politique régionale et urbaine
- La direction générale pour la recherche et l’innovation
- Communiqué de presse – Commission européenne, 11 décembre 2017
- Energies renouvelables : l’UE veut inciter les mauvais élèves à faire mieux, Les Echos, 26 juillet 2019
- Agence Europe, 10 octobre 2019
- La Pologne attise la querelle sur le coût et la signification de la neutralité carbone, 4 octobre 2019
- Michel Cruciani, « l’essor de l’éolien offshore en mer du Mer du Nord : un enjeu stratégique pour l’Europe », Etudes de l’Ifri, Ifri, juillet 2018
- La direction générale pour la concurrence